La Désertification culturelle

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Fès est mondialement connue comme la capitale spirituelle du Maroc.  Sa médina est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Un véritable trésor architectural et culturel. Elle abrite La Karawyyne, première université du monde créée bien avant Bologne et la Sorbonne et qui a été édifiée par une femme tunisienne de Kairouan , Fatima Al Fihriya en 859, de même que le tombeau de Sidi Ahmed Tijani, né en 1737 à Aïn Madhi en Algérie, et connu dans le monde entier comme l’un des plus grands « saints de l’islam » ( awliya’e Allah). Elle concentre aussi toute la richesse de l’artisanat marocain et doit une part de sa célébrité au nombre de savants et de philosophes qui y ont séjourné, et à son raffinement enrichi par l’apport arabo-andalou.

Aujourd’hui, Fès est célèbre sur le plan culturel grâce entre autre, à deux   manifestations importantes : le Festival des Musiques Sacrées du Monde et le Festival de la Culture Soufie. Ces deux événements réalisent une même performance : la rencontre  d’hommes et de femmes de tous horizons, par delà leurs origines ou leurs croyances autour de thèmes qui préoccupent l’humanité  entière et qui aident à diffuser un message de paix universel.

Le Festival de la Culture Soufie dont la vocation est de réunir une fois par an les représentants des différentes confréries soufies dans le monde autour de thèmes relatifs à la spiritualité, consacre cette année sa neuvième édition à

 

La Religion de l’Amour de Rabiaa al Adawyya, Ibn Arabi, Jalal Eddine Errumi.

 

Autant dire que cela nous tient à mille lieues de nos préoccupations actuelles et des questions existentielles qui agitent les milieux intellectuels et politiques en Algérie en ce moment :

Cela prouve encore une fois que la vie culturelle ne semble pas trop soucier nos responsables, plus préoccupés par des questions somme toute prosaïques que par les enjeux essentiels qui déterminent l’avenir du pays. La culture n’a jamais constitué une question fondamentale pour eux et, quand il leur arrive de réagir quelques fois pour combler un retard ou réparer un oubli, c’est plus par sursaut d’orgueil que par profonde conviction. Et à ces occasions, ils pensent trouver la solution en injectant des millions à fonds perdus comme lors du dernier festival panafricain, ou en gavant Tlemcen de friandises inutiles.

L’histoire, la tradition, les coutumes…tout cela est constitutif du patrimoine culturel d’un pays et de la mémoire d’une nation et tout cela a besoin d’être entretenu. Nous en sommes les dépositaires et nous devons l’enrichir pour lui donner force et vigueur et le confier aux générations futures.

Il faut donner le goût du savoir et de la culture à notre jeunesse et soutenir toutes les initiatives dans ce sens. Le reste viendra naturellement. Il n’y a rien de lénifiant dans mon propos, ni d’original. Il résulte d’un constat simple en ce sens qu’il appartient à chaque pays de sauvegarder et de mettre en valeur son patrimoine et ses richesses culturelles. La Tunisie et le Maroc ont choisi depuis longtemps de se doter des moyens humains et matériels pour mettre en place un programme culturel de grande envergure.

J’entends déjà les aigris et les esprits chagrins nous reprocher de ne voir que l’écume des choses. Certes l’arbre ne doit pas cacher la forêt et il n’y a aucun risque à se laisser éblouir par une lumière artificielle qui cache une multitude de zones d’ombre derrière lesquelles suppurent les plaies de la misère du pays profond. Aucun pays n’y échappe et dans ceux du Tiers-monde on sait depuis longtemps badigeonner les façades à l’occasion de visites de chefs d’États Etrangers. Mais à tout prendre, mieux vaut faire peu que ne pas faire du tout. Alors autant rendre hommage à nos voisins et les encourager dans leurs efforts de mise en valeur d’un patrimoine qui restera toujours commun à nous tous. A moins de choisir de blâmer La Tunisie pour avoir « récupéré » Saint-Augustin et reprocher au Maroc de célébrer l’Emir Abdelkader faute de le faire nous-même?

Alors devant la désolation de notre désert culturel, on ne sait plus si on doit parler de mauvaise ou d’absence de gouvernance, de gabegie ou de gaspillage, d’ignorance ou d’absence d’éducation. Et si c’était tout simplement un mélange de toutes ces insuffisances qui nous fait confondre sens de la mesure et goût de la démesure ? Ainsi comment arriverait-on à nous faire croire qu’en faisant bâtir la troisième plus grande mosquée du monde cela nous vaudrait absolution divine pour toutes nos turpitudes, et solde de tout compte pour toutes les entourloupes. Le penser c’est déjà blasphémer et je ne crois pas faire fausse route en pensant que Dieu aurait préféré l’électricité et l’eau potable dans les Villages des Aurès et de Kabylie à une mosquée-cathédrale. Les écoles, les universités, les hôpitaux et la nanotechnologie plutôt qu’une gigantesque salle de prière, Dieu sanctifiant l’encre des savants autant si ce n’est plus que le sang des martyrs.

J’ai vu à Fès, dans les lieux de conférences et de débats, des visages de lumière, des visages souriants, des visiteurs étrangers, des femmes voilées et non voilées, des jeunes et des moins jeunes, beaucoup d’Occidentaux soufis ou compagnons de route, portés par l’amour du divin et venus communier en terre d’islam avec des hommes et des femmes unis par l’amour de Dieu et  de Son Prophète.

J’ai entendu des Étrangers déclamer avec ferveur les poèmes de Sidi Boumediène que je ne connais pas, parler de l’Emir Abdelkader comme l’un des leurs. Ils connaissaient mon pays mieux que moi, énuméraient les zaouias et les « saints de l’islam » qui ont perpétré chez nous un islam de tolérance et d’amour. J’ai entendu des centaines de fois le mot « amour » à chaque évocation de l’islam et de Son Prophète. Nuit et jour des ensembles vocaux de différentes confréries ont chanté pour nous les louanges du Prophète et l’amour de Dieu. Toujours cet amour lancinant qui pousse à l’extase et qui me paraissait étrange par manque d’habitude. Je n’ai pu m’empêcher de penser que chez moi, dans nos mosquées, on parle rarement d’amour. On y parle châtiment, enfer, flammes, torture et mort. Défense de sourire. Défense de rire. Défense de parler d’amour et de poésie.

Je quitte le cauchemar et je reviens à la réalité de Fès. Je rencontre deux compatriotes. Ils étaient venus de Tlemcen en voisins. Ils portaient dans leurs regards toute la tristesse du monde, comme moi, comme quand on se sent coupable et qu’on se sait impuissant. A la tombée de la nuit, les rues s’illuminent et s’animent, les parents promènent leurs enfants sous les grands platanes, les cafés diffusent de la musique arabo-andalouse, comme les veilles de fêtes, comme des gens normaux dans des pays normaux.

Aziz Benyahia

 

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