La semaine politique par Kamel Daoud

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C’est encore le même drapeau, mais attention !

Par : Kamel DAOUD

Dans un village algérien, là habite l’auteur de ces lignes, deux sortes de drapeaux : ceux de la mairie, en grands nombres dans la rue unique et principale. Puis deux ou trois autres drapeaux, orphelins, à l’intérieur des ruelles, suspendus par des algériens de la vielle génération sur leur balcons, comme des cris silencieux et des hommages humbles et indépendants. De ceux qui gardent encore en mémoire le 05 juillet 62 et les souffrances d’avant et les joies d’après.

Les deux n’ont pas la même histoire en effet. Le premier drapeau, celui de la mairie a couté de l’argent, est prévu par un budget, a été accroché par des employés, sera ôté dans trois jours et a été commandé et cousu par une entreprise dont on ne sait rien (le monopole des couturiers officiels du drapeau pour les administrations n’est pas connu !). Le second drapeau a été cousu par une française, la femme de Messali. Il a  été payé en sang et ce n’est pas une image de poésie nord coréenne. Ceux qui l’ont transmis, de main en main jusqu’au 05 juillet dernier, sont légions, morts ou épuisés, connus ou écrasés, vivants ou désespérés. Donc budget a été énorme et on ne l’a pas encore remboursé pour faire dans la rime noble.

Le premier drapeau représentait un peu et surtout la fête officielle. Ses dépenses surréalistes (1,6 millions d’euros, dit-on, pour la gloire de Bouteflika dans les journaux occidentaux), 09 millions de dollars pour le feu d’artifice des chinois et quelques autres millions pour un libanais auteur d’une chorégraphie moyenne. Dans l’ensemble, les algériens des villes ont pu au moins en voir la trace de cette fête.

La fête officielle n’a pas été populaire mais très élitiste : destinée à la consommation médiatique internationale et aux élites postrévolutionnaires des anciens et des vétérans ou de leurs gardiens et descendants. Elle a été fêtée dans la solitude : pas de peuple en applaudissement, ni d’invités étrangers de marques. Rien que la solitude de Bouteflika, dans la solitude des algériens, dans la solitude de l’Algérie. « Un seul héros, le peuple » est devenu « un seul héros, Bouteflika ».

Le second drapeau est ce qui reste des drapeaux du 05 juillet 62. De cet élan naïf et grandiose qui impressionna le monde. C’est ce qui reste de cette adhésion mystique entre l’armée qui libère et le peuple qui l’a nourrit. C’est ce qui reste de la revendication de liberté après la libération et des anciennes croyances et idéologies. « Le roman national » dirait Harbi.

Celui d’un héros qui se bat pour une cause juste et qui fini par épouser la terre et avoir beaucoup d’enfants. Sauf qu’il y a une suite : un jour, le héros tire sur ses enfants, en 88, puis ses enfants essayent de l’égorger durant dix ans, puis le héros qui se replie dans sa maison pendant que ses enfant se noient dans la mer ou fume de la colle ou se proclament secrétaires particulier d’Allah. Puis l’histoire malheureuse finie dans un divorce entre la terre et le héros et un départ vers la folie ou la mer pour les enfants.

Il ne s’agit donc pas du même drapeau, ni du même pays, ni de la même histoire. Durant les révolutions « arabes », certains ont préféré, pour se distinguer de la dictature, revenir aux anciens drapeaux. Ceux d’avant le dictateur : en Libye, en Syrie ou ailleurs. En Algérie, on est encore préservé de ce choix douloureux. La révolte et la dictature ont encore le même drapeau. Les mêmes couleurs nationales, les mêmes emblèmes. Mais cela n’est pas acquis définitivement. A bien regarder, attentivement et pour ceux qui veulent regarder loin et profondément, il ya déjà des différences entre le drapeau des mairies et des officiels et ceux des déçus et ceux des nostalgies.

Un drapeau se compose par une Histoire nationale unie et se décompose quand il y’en a deux. Ou 37 millions.

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