Revue littéraire : « Français par le crime, j’accuse » de Mohamed Garne

0
Fadéla Hebbadj

En 1961, Mohamed a un an quand il est placé chez une nourrice. Elle l’enfermera pendant cinq ans dans un cagibi. Il est ensuite adopté par une intellectuelle renommée, qui obligera une de ses amies magistrates, à l’emprisonner pour le vol d’un de ses colliers. Alors que son mari, Walid, homme de théâtre corrompu, baigné dans des combines d’abus de biens publics, ne sera jamais dénoncé.

Durant sa captivité, Mohamed fréquentera les livres, mais il apprend aussi à se défendre.

Je me battais tous les jours pour ne pas avoir à subir les sévices sexuels, qui sont pratiques courantes dans les prisons. J’ai recommencé à me lacérer, un soir, pour pouvoir être en isoloir…

Il rencontre plus tard une femme. Elle a besoin que lui, le petit orphelin, ne dépende plus d’une famille de substitution, qui pour des tourments narcissiques, le fasse interner dans des asiles psychiatriques ou des prisons. Naît alors en lui une infatigable détermination à rencontrer ses vrais parents. Il n’a pas grand-chose, un nom, un village… mais il les retrouvera.

Kheira, sa mère, est encore vivante. Elle vit au fond du cimetière. Un figuier, au large tronc noueux, pousse et forme un auvent au-dessus de la petite porte de fortune. Une porte faite de lattes de bois clouées ensemble, traversées par des roseaux…

Et là, son passé surgit du cœur des enfers. Il apprend qu’il est le fruit d’un viol collectif de soldats français pendant la guerre. Le récit de la mère est tellement bouleversant que je n’ai pu contenir mon émotion. Chaque moment échappait intégralement à mon entendement. Je livre ici un de ces moments étourdissants.

Les soldats m’ont emmenée dans la caserne de Theniet El Had, qui n’était pas loin et m’ont interrogée… Je portais un treillis et ils se sont acharnés sur moi comme ils l’auraient fait sur un homme. Pour me faire parler, les soldats français m’ont frappée, fait avaler de l’eau, mis des fils électriques. Je me suis évanouie, plusieurs fois. Nous étions des centaines et des centaines dans un camp…

Sensible aux souffrances des autres, Mohamed gagne le respect des patients dans l’hôpital où il travaille. Proche aussi du peuple, il manifeste en 1988, contre les injustices sociales en Algérie.

L’Etat d’urgence a été déclaré et autorise tous les abus. Soigner. Sauver ces vies humaines. C’est une idée obsessionnelle, surtout quand je vois cet enfant de treize ans, blessé par balle, qui s’agrippe à son drapeau algérien et n’en peut plus de douleur. Je l’installe avec précaution dans la camionnette, puis fais glisser les cadavres et redémarrons.

Vient la tragédie noire, dans une Algérie ensanglantée où les rumeurs les plus folles se propagent ; où nombre de règlements de compte familiaux, de conflits tribaux qui ne visent qu’à s’attribuer des parcelles de terre, sont maquillés en crimes terroristes.

On retient une leçon historique dans ces travestissements : là où la vérité ne se dit pas, le drame éclate. L’épidémie de la rumeur génère saccage et ruine. Mohamed combat contre elle dans sa quête d’origine.

Le témoignage de sa mère Kheira est lui-même un cri de vérité : Vous voulez savoir ce que vous savez, monsieur le Juge. Ce que vous avez tu pendant tant d’années. Que les Français violaient. J’ai été violée par les soldats, violée, violée.

Fadéla Hebbadj

Article précédentAu-delà de 2040, la faim guettera les Algériens
Article suivantCrédit à la consommation/ Un mort-né?