Accueil Maghreb Vous n’avez pas le droit d’humilier tout un peuple Par Aziz Benyahia

Vous n’avez pas le droit d’humilier tout un peuple Par Aziz Benyahia

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Monsieur Abdelaziz Bouteflika est Président d’un Etat souverain. Sa santé est dramatiquement chancelante. Dans notre culture, on accompagne la vieillesse et la maladie avec respect et sollicitude, probablement davantage que dans d’autres traditions. Alors, on épargne à la personne en fin de vie les dernières douleurs et les ravages du temps pour l’aider à passer vers l’autre rive, en se disant que pour le reste, Dieu en fera son affaire.

Notre Président a voulu mourir Président. Il fît pour ce faire ce qu’il fallait faire. Et même si peu d’entre nous y voyaient bon augure il fallait, du moment qu’il était là et bien là, respecter la statue du commandeur et faire contre mauvaise fortune bon cœur. C’est la règle du jeu tant qu’on a fait vœu de démocratie.

Nous savons bien qu’il y a dans son entourage, une foultitude de gens choisis par lui, qui le couvent et qui lui tiennent la main mais qui ne font cela ni par charité, ni par devoir, ni par admiration mais bien pour de sordides raisons d’intérêt politique ou autres. C’est la loi du genre  dans le cercle fermé du pouvoir où ne survivent parmi les courtisans que ceux qui savent se distinguer au bal des hypocrites. Quant au peuple, même s’il est tenu à distance, il reste toujours respectueux de la fonction présidentielle. Alors pourquoi le Pouvoir a-t-il manqué de respect au Peuple ce sinistre jour où un jeune Premier Ministre étranger sut tirer profit d’une médiocre mascarade? Ce jour où le service du protocole et les grands ordonnateurs de la cérémonie, pensèrent gagner plus de légitimité en exhibant la preuve encore vivante du commandeur.

Alors, à ces messieurs qui ont donné notre pays en spectacle et notre dignité en pâture, nous disons :

 

Vous n’avez pas le droit de violenter le destin dans une logique de calculs machiavéliques. Passe encore que vous soyez experts en la matière, embaumeurs impénitents d’un pharaon qui n’en demanderait pas tant, mais vous avez fini par perdre le sens du convenable et les apparences de la décence et de l’humainement correct.  Vous avez poussé l’inhumanité jusqu’à donner de nous au monde entier, l’image d’un peuple abêti et castré au point de se laisser mener par un vieil homme tellement usé par la maladie qu’il ne peut même plus maîtriser ni les mains ni les lèvres, ni même le regard. Comment parler à son jeune hôte, devant les caméras quand on a perdu l’usage de la parole et jusqu’au langage des signes ?

 

Vous n’avez pas le droit d’humilier tout un peuple et je ne pense pas qu’il y eut un seul d’entre nous, y compris parmi les pires ennemis du Président, qui ne se sentît blessé et ridiculisé par l’exhibition comme d’un trophée, du représentant de quarante millions d’Algériens, amoindri à faire pitié, et humilié à nous faire terriblement mal.

Vous n’avez pas le droit d’offrir aux caméras du monde entier, cette image pathétique d’un homme absent ; une représentation lamentable  qui fit de nous un peuple de naufragés dérivant dans un bateau ivre et sans capitaine. Un peuple d’apparence inutile dans un espace sans horizon ; oubliant jusqu’à son histoire, ses traditions et sa dignité.

 

Vous n’avez pas le droit, vous qui à un titre ou un autre, avez accepté de près ou de loin de participer à cette triste mise en scène du quatrième mandat, d’orchestrer ce dramatique acharnement thérapeutique, aux seules fins de vous donner un peu plus de temps pour finir de piller, engranger et régler des comptes.

Vous n’avez pas le droit d’exhiber comme une attraction foraine un vieux monsieur qu’on savait malade et dont l’image jusque-là assez rare,  nous avait épargné les épanchements charitables et la compassion sans frais. Rien d’étonnant dès lors que cette terrible image d’un visage sans expression et sans vie, fut utilisée par une station radio d’Etat française pour diffuser une scénette où la souffrance d’un homme à l’agonie servit d’argument à un dialogue qui avait fait rire toute l’antenne.

Vous n’avez pas le droit de ne pas respecter l’intimité d’un chef d’Etat, surtout lorsqu’il est sévèrement diminué par la maladie. En d’autres temps personne n’aurait imaginé pareille inélégance à l’égard de feu le Président Boumédiène. Sous le ciel français, on a montré avec beaucoup de dignité et de respect, les Présidents Pompidou et Mitterrand en phase finale de la maladie. Faut-il vous accuser d’ajouter à l’impéritie et à l’incompétence la perte définitive des notions de respect de la nature humaine et du savoir-vivre les plus élémentaires ?

Vous n’avez pas le droit, enfin de vous exprimer en notre nom dans des circonstances aussi graves, où la gestion calamiteuse d’une crise avec un journal français et l’accueil chaotique d’une délégation ministérielle dirigée par un jeune Premier ministre, achevèrent de donner de l’Algérie l’image d’un pays absent où vit un peuple absent, dirigé par un chef absent. Et du reste, en vertu de quelle légitimité vous parlez en notre nom ?

 

Aziz Benyahia

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