Décennie Noire : Dites-nous enfin la vérité ! Par Abdou Semmar

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Abdou Semmar

Au moins 3300 personnes enterrées sous X en Algérie durant la tragique décennie noire où les violences les plus inouïes ont plongé notre pays  dans un état de destruction sans précédent. Ce chiffre qui fait froid dans le dos a été révélé récemment par le Merounae Azzi,  président de la commission d’assistance judiciaire chargée de l’application des dispositions de la Charte pour la Paix et la réconciliation nationale.

Ce chiffre traduit-il la réalité funèbre de ces années où les Algériens tombaient comme des «mouches» ? Difficile d’y répondre lorsqu’aucune enquête judiciaire n’a été entamée pour comprendre les tenants et aboutissants des massacres collectifs qui ont endeuillé une génération entière d’Algériens. En l’absence de la justice, la mémoire sombre dans la souffrance permanente. Une souffrance qu’aggrave une indifférence générale qu’une amnésie collective tente d’imposer au nom de la sacro-sainte stabilité du pays.

Et ces 3300 algériens et algériennes enterrés sans que personne ne puisse les reconnaître sont-ils des animaux dépourvus d’humanité pour qu’on les jette ainsi dans les poubelles de l’histoire ? Que doit-on faire de leurs âmes meurtries qui nous tourmentent encore ? Que doit-on faire de leurs tombes anonymes ? Les détruire par des bulldozers pour les effacer définitivement de notre histoire troublante ?

Non, ces algériens morts, massacrés, tués ou torturés, ne méritent guère cet oubli méprisant. 15 ans après la fin des violences fratricides, il est temps pour notre pays de rouvrir ce dossier délicat pour cicatriser à jamais ses blessures encore béantes. Les milliers de disparus, les mères éplorées, les enfants orphelins, les douars entiers hantés par leurs habitants assassinés dans leurs lits, les girons de leurs femmes ou leurs mères, tous ces Algériens qui ont, certes, tourné la page, continuent à chercher pour comprendre. Ces Algériens, ils ont le droit d’accéder enfin à la vérité. Oui, la vérité et rien que la vérité.

Pourquoi sommes nous arrivés jusque là ? Lorsque deux frères s’entre-tuent au nom d’une idéologie, cette violence ne se guérit pas uniquement par une réconciliation qui se décrète sans un travail de justice. Attention, nous cherchons nullement à attiser encore le feu du «Qui tue qui ?». Non, cette étape où les manipulations prenaient le dessus sur le devoir de vérité, les Algériens l’ont dépassée. Cette étape de polémiques stériles et de débats byzantins, elle fait partie du passé. Mais la vérité, celle-là que la justice doit rechercher et fournir aux Algériens pour que tout le monde puisse apaiser son âme, cette vérité-là est à notre portée.

Il suffit d’une volonté politique. Une sérieuse volonté politique. Une sincère volonté politique. Merounae Azzi avait affirmé que la Charte pour la Paix a réalisé 90 à 95% de ses objectifs. Peut-on se réjouir d’un taux de réussite aussi euphorique alors que la question des enfants nés sous X dans les maquis n’est toujours pas prise en charge par nos autorités ? Et la douloureuse question des femmes violées aux maquis ? Et ces milliers d’Algériens déportés dans des camps au sud dans le Sahara ? Ses souffrances, ou plutôt «objectifs» pour reprendre la terminologie de nos autorités, ont-elles été calmées, soignées ou considérées ? Malheureusement non.

Une autre décennie s’est écoulée depuis la tragique décennie noire. Et pourtant, chaque 23 septembre, aucun de nos ministres ou mêmes walis ne se déplace à Bentalha, une localité située à une quinzaine de km de la capitale Alger, pour rendre hommage et commémorer le souvenir de ces 400 personnes civiles tuées, et égorgées, en une seule nuit en 1997. Un oubli total. Ces pauvres Algériens victimes de l’horreur n’ont aucun monument qui rappelle au pays leur existence et leur sort tragique. A Bentalha, comme ailleurs à travers le pays, ces victimes du terrorisme aveugle ont été enterrées dans le cimetière de l’indifférence de l’amnésie. Une amnésie qui n’a pas débarrassé l’Algérie de cette violence encore latente. Une violence qu’on retrouve dans nos stades de football, dans nos rues, nouvelles cités populaires et même au sein de nos familles.

La vérité, seule la vérité soignera nos blessures et nous permettra de faire définitivement notre deuil. Alors au nom de ces Algériens enterrés dans l’anonymat total, au nom de ces Algériens qui ne dorment pas la nuit parce qu’ils entendent toujours les cris de leurs proches morts le couteau sous la gorge, au nom de ces Algériens, dites-nous enfin la vérité…

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