« L’Algérie doit préparer la succession du président »

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Le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, hospitalisé à Paris depuis le 27 avril, a été transféré mardi 21 mai de l’hôpital militaire du Val-de-Grâce à un autre établissement militaire – vraisemblablement celui des Invalides –, a annoncé le service de santé des armées françaises.

Même si le chef de l’État algérien commence une phase de convalescence, alors que des rumeurs le disaient dans le coma voire mourant, sa santé très dégradée a obligé l’Algérie à envisager sa succession.  Toutefois la prochaine élection présidentielle, qu’elle ait lieu comme prévu en avril 2014 ou qu’elle soit anticipée, n’augure pas forcément de changement politique, selon le politologue Mohamed Hennad.

 ENTRETIEN Mohamed Hennad, politologue à l’École nationale supérieur de sciences politiques d’Alger

« La Croix » :  Un intérim sera-t-il organisé pour préparer la succession d’Abdelaziz Bouteflika et anticiper la présidentielle d’avril 2014 ?

 Mohamed Hennad : Évidemment, tout dépendra de l’issue de la maladie du président. Dans ce pays de rumeurs, si l’on s’en tient à ce qui se dit ça et là depuis quelques jours à propos de la détérioration de l’état de santé du président, il nous faudra nous préparer à une succession qu’on a, manifestement, refusée de prévoir, puisqu’on parlait déjà d’un quatrième mandat.

Indépendamment de ces rumeurs, il est clair que l’état de santé du président n’a cessé de se détériorer depuis son hospitalisation en 2005. Et je pense que le président Bouteflika aurait dû renoncer depuis quelque temps déjà pour permettre une transition plus ou moins heureuse et pour ne pas laisser le souvenir de quelqu’un qui n’aura pas su être digne devant l’inéluctable. Pouvait-il prendre une telle décision en toute liberté et lucidité ? Peut-être que non !

Le président Bouteflika exerçait-il le pouvoir ces derniers mois voire ces dernières années ?

 M.H. : Je ne saurais vous le dire dans les faits. Mais il faut souligner ceci :primo, la logique du système veut que « l’élu » soit censé ne jamais oublier à qui il doit sa victoire et sa continuité ; secundo, depuis sa première hospitalisation, les apparitions d’Abdelaziz Bouteflika se faisaient de plus en plus rares et brèves. Qui plus est, à chaque apparition, il semblait plus affaibli et on avait l’impression qu’il n’était là, en fait, que pour satisfaire aux protocoles. Officiellement tout se faisait en son nom mais probablement peu de chose étaient véritablement de son fait.

Est-ce l’armée et le puissant département du renseignement et de la sécurité (DRS) qui détiennent les clés de l’élection et du choix du successeur ?

 M.H. : Pas uniquement le DRS, dont le travail, me semble-t-il, ne se résume pas seulement à tenir la société et ses forces politiques et sociales en laisse. Il se trouve aussi confronté à une gestion de plus en plus problématique du statu quo pour que l’édifice, délabré, ne croule pas de sitôt. De ce fait, le DRS demeure la colonne vertébrale du système, notamment dans la sélection pour les plus hautes fonctions de l’État, mais il n’est pas seul.

À côté du renseignement, il y a, bien sûr, un certain nombre de « grands » généraux, notamment les chefs des états-majors des armées et des régions militaires, mais dont le poids décisionnel devrait varier selon les atouts du protagoniste. Il y a aussi la soi-disant « famille révolutionnaire ». Enfin il y a ce que l’on peut qualifier de « lobbys », dont le poids ne cesse de croître à la faveur de la privatisation de l’économie nationale au sein de laquelle, il faut bien le souligner, domine l’économie parallèle.

Qui peut succéder à l’actuel président ?

 M.H. : Certains noms circulent, mais toutes les personnalités évoquées ont des attaches plus ou moins fortes avec le ‘ système ’ (NDLR : le pouvoir constitué du DRS, de l’armée et de la présidence). À mon sens, ceci n’est pas de bon augure pour le changement souhaité. Il faut arrêter de perdre du temps pour rien et se résoudre à sortir de l’auberge une fois pour toutes en permettant une compétition politique saine ; une compétition qui permette l’avènement d’une nouvelle génération politique qui regarde devant plutôt que souvent dans le rétroviseur.

Y a-t-il un espoir de changement politique ?

 M.H. : Sincèrement, je ne vois pas dans le remplacement ces derniers temps de dirigeants à la tête de partis politiques, qui sont partie intégrante du système, le moindre signe d’une recomposition de la scène politique ! Quant à l’espoir de changement politique sur la base d’une légitimité politique et managériale, il ne faut pas être optimiste au point d’être crédule. Je dis crédule parce que les intérêts et la peur de devoir, un jour, rendre des comptes sont devenus tellement importants que le changement souhaité risque de prendre beaucoup de temps et/ou d’être plus coûteux qu’on ne l’imaginait.

Quant à la grogne sociale – laquelle ne cesse de s’amplifier – elle reste, jusqu’à présent, dans les limites des revendications socio-économiques dont la satisfaction reposent beaucoup sur la rente pétrolière, mais pas seulement : ceux qui protestent comptent aussi sur le sentiment de culpabilité chez les personnes qui sont aux commandes. Et même si la revendication politique a, pour le moment, peu de forces, la revendication socio-économique pourra, avec le temps, se transformer en une revendication politique dès qu’on s’apercevra qu’on a, finalement, affaire à un mode de gouvernement peu soucieux de la chose publique et qui se contente de réagir au lieu d’anticiper.

Lu sur La CROIX 
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