Le passage en Algérie du REMDOC au CREDOC – crédit documentaire- sera-t-il efficace sans la réforme du système financier ?

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La loi des finances complémentaire de fin juillet 2010 entend faire du Credoc le seul mode de paiement. La majorité des importateurs algériens avant la loi de finances complémentaire 2009 qui a introduit cette procédure n’utilisait pas la procédure du crédit documentaire (Credoc), mais plus celle de la remise documentaire (Remdoc).
Dans ce cadre, il est utile de appeler que déjà en date du 16 février 2009, en vue de prévenir toute infraction à la réglementation des changes , la Direction générale des changes auprès de la Banque d’Algérie a adressé aux banques et établissements financiers intermédiaires agréés une note relative au règlement des importations ( note n°16/DGC/2009) qui concernait en fait le contrôle des importations de biens réglés par crédit documentaire (Credoc) ou par remise documentaire (Remdoc). Néanmoins, l’application et l’interprétation par les banques commerciales de ces exigences sont restées problématiques.

L’objet de cette contribution opérationnelle, loin de tout discours théorique abstrait, au moment où des avis divergents se manifestent, est de poser la question d’une brûlante actualité tant pour les opérateurs publics que privés : le passage en Algérie du Remdoc au Credoc sera-t–il efficace sans la réforme du système financier et l’approfondissement de la réforme globale ?

I- Fondement du fonctionnement du CREDOC et du REMDOC

Le crédit documentaire est tout engagement pris par une banque pour le compte d’un tiers (donneur d’ordre) ou pour son propre compte de payer à un bénéficiaire (prestataire de service, vendeur, fournisseur…) un montant déterminé sur présentation, dans un délai fixé, des documents conformes aux termes et conditions fixés dans le contrat.

Le crédit documentaire est lié au paiement de factures relatives à une importation et peut être à l’import ou à l’export. Il existe plusieurs types de crédit documentaire : révocable n’existant pas de lien juridique entre la banque émettrice et le bénéficiaire du crédit (type de crédit très peu utilisé) et l’irrévocable se présentant sous deux formes : le crédit irrévocable notifié (non confirmé par la banque notificatrice) et le crédit irrévocable et confirmé (confirmé par la banque notificatrice ou par une autre banque).

Il existe plusieurs modes de réalisation : le crédit documentaire par Paiement à vue (document contre paiement) ; à terme (document contre acceptation de traite) ; le crédit par paiement différé et le crédit par négociation. Quatre intervenants pour assurer la sécurité de l’opération: l’acheteur/Importateur = donneur d’ordre ; la banque de l’acheteur = banque émettrice; la banque du vendeur = banque notificatrice et/ou banque confirmatrice ; le vendeur/l’exportateur = bénéficiaire.

Les différents documents exigés d’un dossier sont une demande de crédit documentaire ; une facture proforma objet du crédit et la copie originale de la facture ; la constitution de la provision ; une décision du comité de crédit en cas de non constitution de provision par le client ; le message SWIFT d’ouverture ; le paiement effectif si le paiement est à vue ; les commissions d’acceptation pour le cas de paiement par traite ; la copie du connaissement ; la provision extournée et la déclaration d’importation (D.I) domiciliée.

Quant au REMDOC, (remise documentaire), il est un moyen de paiement par lequel une banque assure l’encaissement du montant de crédit contre remise des documents selon les instructions stipulées sur l’ordre d’encaissement, à la demande de son client (donneur d’ordre). Les intervenants dans l’opération d’encaissement sont par contre : le donneur d’ordre (le client) ; la banque remettante (la banque du client) ; la banque chargée de l’encaissement (autre banque que la banque remettante) ; la banque présentatrice (banque chargée de l’encaissement).

Deux types de documents peuvent être exigés : les documents financiers: ce sont des lettres de change, billets à ordre, chèques ou autres instruments utilisés pour obtenir le paiement d’une somme d’argent et les documents commerciaux : ce sont des factures, documents de transport, autres titres de propriétés ou documents non financiers.

Les documents sont remis en fonction des termes établis entre le fournisseur et le client. Ils peuvent être remis soit : contre acceptation (D.A) ou contre paiement (D.P). Il convient de se poser la question des inconvénients et des avantages du crédit du CREDOC et du REMDOC Pour le CREDOC, le vendeur est payé sans avoir à attendre que les marchandises soient arrivées à destination.

L’acheteur est assuré que les marchandises qu’il paie ont été bien expédiées par le vendeur. La CCI a édité en 1936 une série de règles internationales pour l’interprétation des termes commerciaux, connus sous le nom d’INCOTERMS. Les incoterms définissent les obligations réciproques du vendeur et de l’acheteur pendant le déroulement de l’opération commerciale.

Quant aux avantages du REMDOC pour l’exportateur ils sont la bonne foi des banques (la confiance) qui agissent dans l’opération et soin raisonnable et la réduction sensible des frais d’importation. Ainsi lorsque les sociétés internationales d’assurance allouent une mauvaise note à un pays, en risque pays très fort, cela oblige souvent les banques à régler les transactions en CREDOC. Aussi le CREDOC peut –il traduire le risque d’insolvabilité d’un pays. C’est une commission/frais en pourcentage à payer par le donneur d’ordre (l’acheteur en général).

Mais les risques du REMDOC sont le retard dans la livraison, le non-respect de la qualité, quantité, etc. et le risque de non-paiement, de contestation de la valeur des documents et de l’interruption des activités en cas de force majeure. Dans tous les cas, les banques n’assument aucun engagement ni responsabilité pour le non-respect des instructions qu’elles transmettent ; la conformité et la valeur des documents et le retard sans paiement.

Ainsi comme mis en relief précédemment, la remise documentaire CREDOC est une technique de paiement ou d’encaissement par laquelle l’exportateur donne mandat à sa banque de remettre des documents à la banque de l’importateur. Celle-ci les présentera à son client, soit contre paiement comptant, soit contre acceptation d’un paiement à terme sur les titres de paiement convenus.

La remise peut être à l’import ou à l’export. Par contre pour la REMDOC à l’import, l’importateur est client de la banque et doit régler la facture de l’exportateur qui est à l’étranger et pour la REMDOC à l’export : vous êtes exportateur et vous chargez la banque d’obtenir le paiement de votre facture. La REMDOC est moins lourde à mettre en place que le Credoc, mais les garanties offertes par ce moyen de paiement sont loin d’être parfaites. Ainsi, le CREDOC est un moyen de paiement à l’international entre deux partenaires commerciaux, certes le moyen le plus sûre mais le plus cher par rapport au REMDOC et au transfert libre qui s’opère auprès d’un organisme bancaire habilité à ce genre d’opération. Ce qui explique surtout pour les PMI/PME que généralement les clients ne préfèrent pas régler en CREDOC cela revenant cher.

II- Les banques algériennes doivent avoir un autre mode de gestion afin de pratiquer le CREDOC

La gestion du crédit documentaire CREDOC suppose de suivre de manière régulière et transparente différentes étapes dont la :réception et l’authentification des instructions du mandant ; analyser les instructions contenues dans le mandat et conseiller le client le cas échéant ; accomplir les démarches pour obtenir les autorisations nécessaires au sein de la banque ; procéder à l’émission / notification formelle de l’instrument documentaire bancaire ; comptabiliser l’opération ; effectuer les modifications nécessaires suite aux éventuels changements intervenants en cours d’opération, en suivant les étapes mentionnées ; assurer le réalisation de l’instrument documentaire bancaire impliquant la réception des documents, le contrôle de leur conformité par rapport à l’instrument et aux règles applicables et l’exécution ou le refus de paiement et la saisie informatique et/ ou comptable de la réalisation ; assurer le contrôle et le suivi des dossiers existants ; assurer, en étroite collaboration avec le front -office, la gestion des contreparties, des gages et des sûretés liées aux engagements et enfin être un véritable partenaire des clients en entretenant des contacts réguliers avec la clientèle.

Or, selon la banque d’Algérie, fin 2008 nous avons 29 banques et établissements financiers et ayant tous leur siège à Alger dont 6 banques publiques et une mutuelle d’assurance agréée par les opérations de banques, 14 banques privées dont une à capital mixte, trois établissements financiers et deux sociétés de leasing avec 1.057 agences.

Cependant, existe une nette concentration au profit des banques publiques du fait que sur un nombre de guichets 1.301 (contre 1.233 en 2007), le secteur privé totalise seulement 244 guichets contre 196 en 2007 ayant donc globalement un guichet pour 26.400 habitants contre 27.400 en 2007. Cette concentration est d’autant plus nette au profit des banques publiques qui, rappelons-le, ont été assainies ces dernières années pour plus de 5 milliards de dollars (les banques publiques étant malades de leurs clients les entreprises publiques structurellement déficitaires), assurant en 2008 la presque totalité du financement du secteur public et 77 % du financement du secteur privé contre 79,4 % en 2007.

Il est utile aussi de signaler que le gouvernement a rétabli l’ancien article 104 de la loi sur la monnaie et le crédit autorisant les banques à entrer dans le capital de leurs filiales, mesure qui avait été interdite depuis le scandale de Khalifa. Donc, l’Etat, au sein des banques publiques, reste prédominant étant à la fois actionnaire, administrateur, dirigeant, emprunteur, déposant et régulateur et ce, bien avant la crise mondiale d’octobre 2008. Ce qui explique depuis plus de deux décennies les différents gouvernements successifs parlent de la réforme bancaire mais cette dernière n’a pas lieu en profondeur car, touchant des intérêts, les banques publiques étant le lieu de la distribution de la rente des hydrocarbures.

Rappelons le projet de privatisation partielle de la BDL en 1996 au moment de l’ajustement structurel avec le FMI et récemment l’abandon de la privatisation partielle du CPA. C’est dans cet optique que s’inscrit le fonctionnement de la Bourse d’Alger, une hérésie économique, une bourse totalement étatique où des entreprises publiques potentiellement déficitaires achètent des entreprises déficitaires avec la bénédiction des banques publiques, leurs assainissements entre 1991/2008 ayant coûté plus de 40 milliards de dollars au Trésor public, étant revenues à la case de départ dans leur majorité, donc ce n’est pas une question seulement d’argent.

Autre caractéristique fondamentale du fonctionnement du système financier réel algérien, avec les nouvelles dispositions du retrait contraint des banques algériennes du marché y compris le secteur bancaire privé, du financement automobile et de l’ensemble des crédits à la consommation représentant moins de 1,3 milliard de dollars sur 40 milliards d’importation en 2008, selon le rapport officiel de l’ABEF (décembre 2008), qui souligne qu’il n’y a eu que 3 % de ménages insolvables. Pour les voitures, plus de 60 % sont le fait de l’administration et des entreprises publiques non soumis à cette procédure (donc le problème du gonflement des importations étant ailleurs dont essentiellement la dépense publique et soin, inefficacité), sphère qui contrôle plus de 40 % de la masse monétaire en circulation avec une intermédiation financière informelle où l’on peut lever des dizaines de milliards de dinars en quelques heures mais avec des crédits d’usure.

Aussi l’efficacité actuelle du système bancaire algérien est mitigée selon les derniers rapports internationaux, le changement de cadres juridiques semblant constituer un des facteurs à l’entrave affaires. Selon le nouveau rapport Doing Business 2010 de la Banque mondiale en matière de climat des affaires concernant les réformes menées en 2008/2009, l’Algérie est classée à la 112e place en matière de facilitation du commerce extérieur sur une liste comportant 121 pays devançant cinq pays pauvres africains, Burundi, Nigeria, Zimbabwe, Côte d’Ivoire, Tchad, avec une très mauvaise note pour le marché financier national qui se voit attribuer un score de 2,8 sur 7 avec la 132e position pour ce qui est de l’efficience et de la sophistication du système financier algérien. De ce fait, la situation du système financier algérien ne peut être isolée du blocage de la réforme globale .

III- Assurer une transition entre le REMDOC et le CREDOC

Dans ce contexte, le crédit documentaire (CREDOC) instauré par la loi de finances complémentaire 2009, peut être d’une faiblesse opérationnelle face au fonctionnement du système bancaire algérien. En effet, le système documentaire est une procédure normale lorsque existent des banques qui fonctionnent normalement au sein d’une véritable économie de marché concurrentielle, étant dans cette interminable transition depuis 1986, ni véritable économie de marché, ni économie administrée qui ont leurs propres règles de fonctionnement expliquant les difficultés de régulation économique et sociale et que les banques sont souvent soumises à des interférences politiques et sont actuellement avec leurs lourdeurs bureaucratiques des guichets administratifs qui favorisent l’import au lieu d’être un partenaire actif pour l’investissement productif.

D’ailleurs, cela est confirmé par les déclarations officielles du ministre des Finances algérien qui a expliqué que si l’Algérie a été épargnée partiellement par la crise mondiale, elle le doit au fait que le système financier algérien est déconnecté des réseaux internationaux et que le dinar n’est pas convertible, comme s’il fallait s’en réjouir, l’importance des réserves de change étant due à une ressource éphémère, les hydrocarbures, l’Algérie exportant hors hydrocarbures depuis des décennies moins de 3 %.

Or, l’efficacité du CREDOC s’inscrit dans le cadre justement d’une connexion au réseau mondial de la finance. Comme l’exigence du CREDOC sans transition et sans préparation des banques risque d’étouffer les PMI/PME notamment privées majoritaires actuellement opérant sans la sphère réelle en les poussant à aller dans la sphère informelle où existe des institutions et des intermédiations financières informelles, qui constituent la majorité des entreprises privées algériennes déjà soumises à d’importantes contraintes bureaucratiques. Car peu d’entreprises sont insérées dans le cadre des valeurs internationales comme le montrent les données au niveau du registre national du commerce pour fin 2008, la structuration des entreprise y compris publiques étant la suivante : -49,90 % personnel -32,14 % SNC -13,32 % SARL -4,64 % SPA dont Sonatrach et Sonelgaz. Mais cette mesure pénalise également les entreprises publiques soumise à des interférences administratives, difficultés accentuées par la faiblesse du management stratégique et non libres de leur gestion pour s’adapter à l’évolution rapide du commerce international.

La voix du secteur public qui rejoint celle du privé. Tour à tour, le Dg de la SNTF, relayé par le Pdg d’Air Algérie et le directeur de la recherche scientifique au ministère de l’Enseignement supérieur, ont tous évoqués des difficultés à s’approvisionner en pièces de rechange pour les deux sociétés et de pièces neuves acquises pour la fabrication de matériels technologique pour le secteur de la recherche scientifique Interpellé sur cette question, le ministre des Finances, n’a pas exclu d’apporter quelques ajustements dans le cadre de la loi de finances complémentaire 2010. Le nouveau texte accordera une concession aux opérateurs via l’assouplissement du transfert libre qui sera revu à la hausse étant actuellement à hauteur de 150 mille dinars.

Aussi, pour la majorité des opérateurs, je ne parle que d’une minorité de monopoleurs qui trouvent avantage auprès des banques publiques, le Credoc ne faciliterait pas la tâche du fait de contraintes bureaucratiques. Et, pour les grandes entreprises le risque est des surstocks avec des surcouts et pour les PMI/PME, étant contraints de mobiliser le montant de la transaction au niveau de la banque qui garantit le paiement pour le fournisseur, la grande majorité ne peuvent mobiliser de grands montants d’où les risques de rupture des stocks pour les entreprises n’ayant pas de fonds de roulements importants.

Car, la lettre de crédit, pour ces entreprises est coûteuse et le gouvernement invoquant la traçabilité supplémentaire, mais qui ne garantit en rien la possibilité de fraudes. Or, avec un transfert libre, ou de remise documentaire, il y a domiciliation à la clé de la même façon que la lettre de crédit et donc enregistrement sur les livres comptables avec transfert et assainissement dans les six mois par la Banque centrale, la lettre de crédit n’étant pas l’antidote du transfert libre, car dans les deux cas de figure des circuits bancaires sont utilisés, connus et répertoriés par les banques.

Par ailleurs, toujours selon certaines organisations patronales privées, le crédit documentaire, outre qu’il ne garantit en rien les surfacturations invoquées par le gouvernement, ne répond pas à ceux des clients mais aux fournisseurs étrangers qui se retrouvent avec un risque commercial zéro et qui, souvent, ne font pas confiance à la banque algérienne et demande une confirmation de cette lettre de crédit par un établissement bancaire étranger. Et là, on revient à l’efficacité du système financier qui a certes des cadres valables qui n’ont rien à envier aux managers étrangers, mais évolue dans un environnement paralysant.

Quelle conclusion en tirer ? Un texte juridique que contredit souvent les pratiques sociales, car la société comme l’a démontré avec des enquêtes internationales précises, le grand spécialiste Hernando De Soto, enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner dans une sphère sociale de non-droit et ce, afin de contourner la myopie de certains gouvernants, n’a pas les mêmes effets dans une économie où existe un Etat de droit, la transparence, une économie structurée et un pays comme l’Algérie dominée par le monopole qu’il soit public ou privé et une bureaucratisation étouffant toute énergie créatrice.

L’intelligence suppose en cette période de transition difficile de s’adapter aux situations spécifiques en prévoyant des paliers successifs car tant la gouvernance centrale que locale, des banques que la gestion des entreprises publiques que privées est caractérisée par des lourdeurs administratives où la notion du temps et le management stratégique sont presque quasiment absents alors que le système financier mondial implique justement la maitrise du temps si l’on veut évier des pertes financières et économiques considérables, le temps ne se rattrapant jamais en économie.

En fin de compte, tout cela renvoie à l’urgence d’une gouvernance rénovée s’adaptant tant aux mutations sociales internes qu’aux mutations mondiales afin de lutter efficacement contre la corruption, l’insécurité juridique qui sont des phénomènes qui entravent l’émergence d’un climat des affaires transparents en Algérie dont la valorisation du savoir, un système bancaire performant et la réhabilitation de l’entreprise créatrice de richesses, sont l’épine dorsale des réformes et d’un développement durable hors hydrocarbures.

Docteur Abderrahmane MEBTOUL Expert international professeur d’Université en management stratégique

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