Lui Président, moi je rentre chez moi… par Kamel Daoud

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    Daoud

     « … Lui Président, moi je rentre chez moi. J’irai en Bolivie. Et je ne reviendrais pas. Ou si peu. Ou tellement lentement qu’il ne sera plus là. Lui Président, cela veut dire que rien ne change, que seul la mort peut apporter la vie, que personne ne vote, que Dieu s’en charge, qu’il n’y pas d’histoire, que du patinage sur place.

    Lui Président, c’est mon monde en noir et blanc, en RTA, à reculons. Lui Président, cela veut dire que nous sommes tous assis, qu’il n’y a que la chaise qui roule, que personne n’est debout, que rien ne se passe, que tout sera bloqué, arrêté, immobilisé, corrompu. Lui Président, il n’y a plus d’espoir, seulement de la rediffusion, des infusions pour vieux, des injections, des contrôles médicaux, des rumeurs, des images à l’ENTV. Lui Président, cela veut dire que votre vie n’a servi à rien, ni votre avis, ni les morts des années 90, ni les survivants, ni les disparus. Lui Président, cela veut dire qu’il n’y a rien, plus rien à attendre et pour longtemps, tellement longtemps qu’on oubliera de quoi il s’agissait en 62, en 88, au 1er novembre. Et qu’il faut partir pour pouvoir repartir. A zéro.

    Lui Président, cela veut dire que les luttes ont été défaites, que ce peuple n’existe pas, que nous sommes tous vieux et ratatinés, que nous avons tous 80 ans, que nous sommes faibles, désarmés, inutiles et vaincus et corruptibles. Lui Président, cela veut dire que tout va continuer : Belkhadem, Saïd, Saadani, Sidi Saïd, les mariages à coup de millions de Da dans les grands hôtels d’Oran avec des parures en or en cadeau pour le fils, la rapine, le déni, la plus grande mosquée d’Afrique avec le plus grand bras d’honneur d’Afrique. Cela veut dire qu’il ne sert à rien de se battre peut-être, de crier, dénoncer, annoncer, marcher, crever, manifester, se scandaliser et hurler sur les toits du monde.

    Lui Président, cela veut dire que le régime a plus de chance que ce peuple : les années 90 nous ont tué, le 11/9 l’a sauvé ; le printemps « arabe » nous a promis, le crash du printemps « arabe » la servi. Lui Président, personne ne va travailler sauf les chinois, l’argent va encore être gratuit, il ne servira à rien de s lever ni de planter ou récolter et semer.

    Lui Président, le monde va rire de nous, de notre cas, de notre misère de peuple forcé d’épouser un homme vieux et qui disparaît, de notre singularité. Lui Président, cela veut dire qu’on a eu les mêmes juges pour les élections, les mêmes commissions, les mêmes chiffres, les mêmes méthodes et donc les mêmes pourcentages et les mêmes arnaques. Lui Président, cela veut dire que nous allons mourir avant un bon lever de soleil, avant de connaître la démocratie, la transition, l’espoir, le rajeunissement, la transmission et la libération des libérateurs. Lui Président, cela veut dire Tab Djnana, qu’il nous a menti, que c’était une ruse, que rien ne roule sauf sa chaise.

    Lui Président, il va encore se moquer de nous, nous mépriser, raconter des blagues sur nos gueux et nos misère, nous détester en live, nous le dire avec les yeux et nous traiter comme des épluchures et des invités indésirables. Lui Président, cela veut dire qu’on n’a même pas eu des présidentielles, des élections, un vote et une voix. Lui Président, cela veut dire que nous ne sommes pas un peuple mais des clients, pas une République mais une fratrie, pas une démocratie mais un royaume, pas un pays mais des pneus.

    Lui Président, j’irais en Bolivie, en Arménie, en pneumonie, mais je reviendrais quand il sera parti, car ici je suis chez moi, autant que lui, même s’il ne veut pas ou ne le pense pas ou ne l’a jamais compris. »

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