Algérie. Face à la détérioration du pouvoir d’achat, le gouvernement algérien peut-il juguler l’inflation ?

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« Comment mentir grâce aux statistiques »
Morgenstern un des fondateurs de la statistique moderne
 
L’inflation est de retour en Algérie, risquant de remettre en cause les équilibres macro-économiques qui ont nécessité d’importants sacrifices de la population algérienne  depuis 1994 date du rééchelonnement, car ayant accusé un retard dans les réformes micro-économiques et institutionnelles, et ce, bien que le niveau des réserves de change  de 140 milliards de dollars US, le stock de la dette tant intérieure qu’extérieure, ce dernier est en nette baisse, selon la Banque centrale d’Algérie, de 4,9 milliards de dollars, non pour des raisons de gouvernance interne, mais grâce à l’envolée du cours du pétrole. L’Algérie risque de revenir à la case départ si l’on a cette vision du passé que le développement s’assimile aux dépenses monétaires et aux réalisations physiques sans se préoccuper des impacts et des coûts. Et surtout, si l’on continue dans cette voie hasardeuse de l’assainissement répété des entreprises publiques, plus de 40 milliards de dollars US entre 1991/2008 et l’inefficacité des dépenses publiques conséquence d’un manque de cohérence et de visibilité dans la politique économique et sociale,  avec la corruption socialisée qui engendre une démobilisation générale se répercutant sur la productivité globale. Pour preuve, une enquête réalisée au niveau d’une thèse de magister durant l’année 2007, montre qu’à la question : allez-vous travailler ou au travail ? la réponse pour plus de 80 % des personnes sondées était la suivante ; je vais au travail. Aussi, s’agissant d’un problème aussi complexe que celui  de l’inflation, il me semble utile de préciser que ces phénomènes doivent tenir compte de la structure et des particularités de l’économie à laquelle ils sont appliqués, les aspects de structures de l’économie internationale, de l’économie interne résultant de l’option de la stratégie de développement économique, aux schémas de consommation générés en son sein pour des raisons historiques, d’influences socioculturelles et aux composantes des différentes forces sociales pour s’approprier une fraction du revenu national.

1-Au préalable, il est utile de rappeler pour les partisans monétaristes, toute augmentation de la masse monétaire entraîne l’inflation, par ricochet les taux d’intérêt freinant par là l’investissement et favorisant le chômage et les partisans de la régulation (mais toujours au sein d’une économie de marché et la dominance du secteur privé) pour qui cette augmentation certes a des incidences à court terme mais à moyen terme permet la relance de la demande, l’élargissement du marché intérieur et est facteur de développement. Cependant, dans la pratique des politiques économiques se combinent à la fois une politique monétaire active mais également une politique budgétaire ciblée. Les enquêtes montrent clairement que n’existe pas une corrélation stricte entre l’augmentation des salaires donc de la masse monétaire mise en circulation et le niveau général des prix. Des facteurs économiques, sociologiques, voire politiques influent fortement sur la tendance : si l’on s’en tient aux facteurs économiques, nous citerons l’augmentation de la production, le niveau de l’épargne ou de thésaurisation de cette augmentation, la disponibilité des produits divers sur le marché, avec la diminution ou l’accroissement des importations ou exportations, les fluctuations des taux de change dans une économie de plus en plus ouverte, jouent comme facteurs de stabilisation ou de déstabilisation. Il s’ensuit qu’à une analyse quantitative et surtout globale reflétée par l’indice officiel des prix devrait se substituer un traitement plus personnalisé et donc une analyse qualitative pour une politique efficace. Ce que l’on peut affirmer, c’est qu’un indice de prix est historiquement daté et ne saurait se limiter aux biens classiques, impliquant une révision profonde du calcul de l’indice des prix en Algérie.

2-Pour le gouvernement, le taux d’inflation a été de 1,6 % en 2005, 3% en 2006, à 3,5 % en 2007 et 4,5% en 2008 (selon l’officiel pour cette dernière période des raisons essentiellement externes dues à l’envolée des prix comme le blé, la farine sur le marché international), ayant prévu des subventions pour la farine, la semoule et le lait et une somme colossale des transferts sociaux représentant plus de 10 % du PIB pour assurer la paix sociale et une inflation selon l’ONS de plus de 6,1% au premier semestre 2009. Or, selon un document important relatif à une étude sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, du centre de recherche américain, Casey Research en date du 6 mars 2008, le taux d’inflation en Algérie serait  12 % en 2007 et  supérieur pour  l’année 2008 selon cette étude, contre une moyenne de 7/8% au niveau de la région Mena. Car le besoin est historiquement daté et doit tenir compte de la structuration sociale, les ménages algériens ne mangeant pas des chiffres erronés mais étant confrontés à la dure réalité quotidienne. Et, phénomène nouveau, il s ‘agit de  prendre en compte  les crédits à la consommation, où  on assiste à l’endettement constant des ménages pour certains biens durables ( pr êts voiture, logement par exemple), un pr êt de 100 millions de centimes algériens en 2009 traduit un remboursement, tenant compte des intérêts composés, de 150 en 2012 dont l’effet à terme est une détérioration du pouvoir d’achat  ce qui implique d’analyser les liens dialectiques  entre  la  concentration du  revenu source d’injustice sociale    au profit de couches spéculatives  au détriment à la fois  des producteurs de richesses  et de la majorité des ménages algériens  et le processus d’accumulation du capital. Actuellement c’est la cellule familiale et la crise du logement en plus de certaines distributions de revenus fictifs qui permettent de maintenir transitoirement la stabilité sociale ( même marmite et partage des charges ). Par ailleurs, si   le processus inflationniste continue à ce rythme entre 2009/2010, cela aura des incidences sur le taux d’intérêt des banques qui devraient le relever au moins de deux à trois points par rapport aux taux d’inflation réel, si elles veulent éviter la faillite. Ou, alors l’Etat devra recourir à nouveau à leur assainissement qui a coûté entre 2002/2008  au Trésor plus de 5 milliards de dollars US. Cela freinerait à terme le taux d’investissement utile, la plupart des opérateurs économiques préfèrent se réfugier soit dans les activités à court terme soit dans les activités spéculatives actuellement dominantes, la part de la production des hydrocarbures dans le produit intérieur brut approchant en moyenne pour 2006/2008 les 45/50%, (mais 80% de ces taux étant eux mêmes tirés par la dépense publique via les hydrocarbures) les exportations hors hydrocarbures ne représentant que 2 % malgré un taux de change de plus de 90 dinars un euro,e tune dépense publique  de plus de 150 milliards de dollars entre 2004/2008 montrant que le blocage du développement est systémique.

3- Sphère informelle   , corruption et pouvoir d’achat des Algériens
Les derniers rapports du PNUD montrent  que l’Algérie  est classée à la 102ème position sur un total de 177 pays, améliorant timidement sa position par rapport à 2005/2006 (103ème) au niveau de l’indice du développement humain et a t-on calculé  le PIB hors hydrocarbures  où  la position reculerait d’environ de 20 points la ramenant à la 153ème position sur 177 soit parmi les pays les plus pauvres de la planète ? Cela explique également la faiblesse  du pouvoir d’achat (le Smig étant à 120 euros contre une moyenne de 150/200 au Maroc et en Tunisie, le salaire d’un professeur ‘université en fin de carrière étant le un tiers de ses homologues marocains et tunisiens , aligné sur celui du Burkinabé Faso un des pays les plus  pauvre d’Afrique ). Ce processus inflationniste est amplifié par l’emprise de la sphère informelle, produit de la bureaucratie centrale et locale qui entretient des relations diffuses de corruption avec cette sphère, (expliquant que les rapports internationaux des trois dernières années 2005/2008 classent l’Algérie à un niveau de corruption élevé), qu’il s’agisse d’intégrer intelligemment, loin des mesures bureaucratiques peu efficaces, contrôlant 40 % de la masse monétaire en circulation avec une intermédiation financière informelle. Tout se traite en cash, alors que la base de l’économie moderne se fonde sur le crédit, et qu’au-delà de 100 dollars, la carte de crédit est souvent exigée. Cette sphère contrôle quatre segments-clefs : celui des fruits et légumes, de la viande, celui du poisson pour les marchandises locales et pour l’importation, le textile – chaussures (posant le problème du contrôle de la douane). Cette domination de la sphère informelle contraste avec le niveau de la salarisation entre 2000/2008 en nette baisse, accusant une régression au profit des emplois rentes passant, selon mes calculs, moyenne 2006/2008 de 22,10% en 1991 à 20% en 2001 et à moins de  19%, ce ratio étant supérieur à 30% au Maroc et 37% en Tunisie, et varie entre 40/60% selon les pays développés, oubliant ainsi que le salaire est un prix et que le travail est la seule source de richesse permanente. Le constat en Algérie est l’absence d’une véritable concurrence, avec une tendance à la substitution d’un monopole d’Etat  un monopole privé plus néfaste , faisant que les circuits entre le producteur et le consommateur (les grossistes informels) ont tendance à se rallonger, la marge commerciale pouvant représenter 2 à 3 fois le prix de production (surtout dans le domaine agricole), ce qui ne peut que décourager le producteur immédiat et l’orienter vers des activités spéculatives et fait que la politique d’encadrement des prix peut s’avérer d’une efficacité limitée, en fonction des moyens mis en œuvre, dans la mesure où le contrôle des prix repose sur le détaillant qui ne fait que répercuter ces surcroîts de distribution. On ne peut invoquer, pour expliquer l’inflation, uniquement les effets des  augmentations au niveau de la Fonction publique en 2008 , (le montant étant estimé à environ 170 milliards de dinars annuellement, soit environ 1,8 milliard d’euros, somme dérisoire ) , la baisse du cours du pétrole ,  pour preuve, le cours du pétrole a atteint   un cours entre 110 /140 dollars , les salaires ayant stagné à une période et  l’inflation  relativement maîtrisée, ou l’extérieur car avec la crise mondiale  nous constatons  une déflation  (baisse de l’activité, chômage, baisse des prix ) alors qu’ en Algérie nous assistons à une stagflation ( récession , chômage et hausse des prix ) . Dans les pays émergents, certes le taux d’inflation est relativement élevé  comme en Chine, Inde, Brésil  ou la Russie , mais le taux de croissance est supérieur à la moyenne mondiale.
 
La raison essentielle de la non répercussion de cette baisse des prix  au niveau mondial est que la banque centrale d’Algérie a dévalué simultanément ( et c’est un paradoxe puisque la cotation de ces monnaies n’évolue pas dans le même sens)   le dinar par rapport à la fois au dollar et à l’euro , mais comme le montre les dernières statistiques  douanières d’avril 2009 n’ayant pas eu d’impact évident sur la valeur des importations. La raison du processus inflationniste, liée profondément à la logique de  l’accumulation,  en Algérie est structurelle. Car depuis 1986, l’Algérie est dans une interminable transition n’étant ni une économie étatisée, ni une véritable économie de marché concurrentielle, expliquant le peu d’efficacité tant de la régulation politique, sociale et économique.
 

Docteur Abderrahmane MEBTOUL, Expert International, Economiste
 
NB- Abderrahmane Mebtoul a dirigé avec une équipe pluridisciplinaire  entre  janvier 2006 et mai 2007 une importante audit pour les  pouvoirs publics algériens relative  à la problématique de l’évolution de,l’ emploi et des salaires notamment dans la fonction publique

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