La deuxième mort des victimes du massacre de Bentalha

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C’est, désormais, une certitude : la maladie la plus répandue chez les algériens est l’amnésie. Une amnésie qui efface et empêche tout exercice de mémoire. L’amnésie en guise de refuge contre les turpitudes du passé. Un passé qui finit pourtant par nous rattraper lorsque ses blessures béantes ne sont pas encore cicatrisées. Mais en Algérie, qui veut réellement cicatriser ses blessures ?

On ne se soigne pas ainsi au pays des amnésiques. On préfère tout bonnement le mépris de l’oubli au courage de la remise en cause qu’impose la lecture de l’histoire. Preuve en est, qui se souvient encore de ce qui s’est passé dans la nuit du 22 au 23 septembre 1997. Presque personne ! Et pourtant, pendant cette sombre nuit, à Bentalha, une bourgade située à une dizaine de kilomètre de la capitale, plus de 400 personnes, femmes et enfants, jeunes et adultes, personnes âgées et fragiles, ont été massacrés dans l’horreur la plus abjecte par des sanguinaires aveuglés par une haine profonde. Poignardées, égorgées, tailladées, ces victimes ont subi les pires sévices. Une nuit entière où leurs cris ont fait fuir les étoiles, où leur sang a jailli de leur corps pour inonder une terre souillée par le silence complice des uns et des autres. Une nuit tragique où la lune a regretté son existence après avoir assisté à un massacre organisé à huit clos et à ciel ouvert. Personne n’a pu intervenir pour sauver ces mères, enfants, hommes ou personnes âgées engloutis par la terreur.

Une terreur indicible, insoupçonnée, secrète et encore méconnue. Les coupables n’ont jamais été réellement jugés. Aucun procès équitable, transparent n’a été prévu. Et aujourd’hui, il importe peu de savoir l’identité des bourreaux. 16 ans se sont écoulés depuis ce massacre. 16 longues années où le devoir de vérité aurait pu être honoré. Il n’en fut rien. A présent, nos autorités, nos concitoyens aussi, méprisent non seulement cette vérité, mais aussi la mémoire meurtrie de ces victimes. Aucune commémoration officielle n’est organisée. Ni ministre, ni wali, ni maire, ni même un parti politique n’a daigné se déplacer sur les lieux du massacre pour rendre hommage à ses victimes qu’on tente de jeter dans les poubelles de l’histoire. Pas même un discours, une parole de solidarité, de sympathie ou de recueillement. Pas  le moindre geste en direction des survivants, des parents et descendants des victimes.

Bentalha a disparu mystérieusement des mémoires, de l’histoire entière de l’Algérie. Comment est-ce possible dans un pays où l’histoire fait et défait toujours les esprits ? Il fallait retourner cette page sombre pour pardonner. Et pour pardonner, il fallait oublier. Et pour oublier, il fallait décréter l’amnésie. Les bourreaux circulent dans les rues, se pavanent dans les cafétérias, et leurs victimes, enterrées dans des cimetières désertés, reposent dans des tombes recouvertes par la poussière. Des tombes que personne ne cherche à reconnaître pour ne plus réveiller les démons du passé. Oublier, et pour cela il faut mépriser les victimes du passé. Oublier, et pour cela il faut enlever toute dignité aux victimes de Bentalha.  Que sommes-nous donc devenus, nous les Algériens, qui avons inlassablement rêvé de bonheur, de démocratie et de justice ?  De simple trous noirs dans l’invisible sidéral créé par nos amnésies successives.

 

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