Le conflit Orascom-Télécom avec le gouvernement algérien: une loi peut-elle être rétroactive ?

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« Dans les Etats de droit, la loi ne dispose que pour l’avenir: elle n’a point d’effet rétroactif » principe universel du droit.

N’étant pas spécialiste, et suite au conflit qui oppose Orascom/Télécom au gouvernement algérien, afin d’éviter des interprétations byzantines et souvent passionnées, j’ai sollicité dans cette contribution l’aide de quelques collègues et juristes spécialistes dans le droit des affaires, objet de cette modeste contribution.

1- Rappel des faits

Depuis des mois, et ce bien avant le match Algérie-Egypte, ont couru des rumeurs rapportées par la presse internationale concernant la vente de Algérie Djezzy filiale de Orascom Telecom Holding (OTH) .

Cela a concerné d’abord Videndi SA et France Télécom. Le PDG d’Orascom Naguib Sawaris, a déclaré officiellement le 06 mars 2010 au Journal émirati , The National, qu’il envisageait de céder une partie de son capital ou la possibilité d’une fusion avec l’Emirati Itasal et entre le 15/25 avril 2010 avec une société très moyenne MTN de l’Afrique du Sud présente dans son pays, mais également en Iran et au Nigeria.

Le gouvernement algérien a réagi en mars et avril 2010 affirmant qu’une éventuelle transaction sans son accord était nulle et non avenue.

En effet, suite à la transaction, somme toute légale, de l’entrée du groupe français Lafarge dans les cimenteries algériennes ayant racheté les parts d’Orascom, le gouvernement algérien a introduit le droit de préemption contenu dans l’article 62 de la loi de finances complémentaire de 2009 qui stipule que l’Etat ainsi que les entreprises publiques économiques disposent d’un droit de préemption sur toutes les cessions de participations des actionnaires étrangers ou au profit d’actionnaires étrangers, que pour tout investisseur étranger qui s’installe en Algérie, la partie algérienne doit avoir une part au moins de 51% dans le capital social et en cas de vente selon l’article 47 un taux d’imposition à 20% du taux de l’IRG applicable aux plus-values de cession de la partie étrangère.

Les arriérés de Djeezy vis-à-vis du fisc algérien (environ 600 millions de dollars) expliquent également que la Banque d’Algérie a pris la décision, la mi-avril 2010, de refuser de transférer les avoirs de Djezzy vers l’étranger. De même, la loi sur les postes et les télécommunications ne permet pas la vente d’une licence de téléphonie mobile sans l’aval de l’autorité de régulation.

Cependant, selon le droit international, une loi n’est jamais rétroactive et pose le problème du contrat qui lie à l’origine Orascom à l’Etat algérien, contrat conclu avant cette loi. Est ce que cette clause de préemption existait avant juillet 2009, car elle n’existait pas dans le cas de Lafarge ? Comment ne pas rappeler le décret du Premier Ministre algérien signé en mai 2009 et publié dans le journal officiel de la république algérienne pour le cas des 30/70% concernant le commerce, décret abrogé par le même premier ministre en septembre 2009 sous la pression de la commission économique européenne ( l’Algérie étant signataire d’un Accord applicable depuis le 01 septembre 2005) qui a invoqué le non respect du droit international.

Autre litige avec Sonatrach: certaines sociétés opérant dans les hydrocarbures installées avant l’amendement de la loi, qui mettent en cause certaines clauses fiscales.

2- Les principes du fondement de l’Etat de droit

La non rétro-activité des lois est un principe, mais comme disait Machiavel, les principes ne valent que quand on a payé pour les défendre. Ainsi, la rétro-activité peut exister, essentiellement dans deux cas. D’une part, le préférable, quand la nouvelle loi est plus favorable au justiciable. D’autre part, le regrettable, quand la loi est administrée par une dictature.

Ainsi, le régime de Vichy a appliqué rétro-activement des lois plus dures, menant des dizaines de personnes à la peine capitale. Le principe du droit existant depuis que le monde est monde a été matérialisé en Occident par Jean- Etienne Marie Portalis devant le corps législatif en 1803, présentant l’article 2 du code civil français dont je rappelle les sept axes directeurs :

a-c’est un principe général que les lois n’ont point d’effet rétroactif ;

b-l’office des lois est de régler l’avenir. Le passé n’est plus en leur pouvoir ;

c-partout où la rétroactivité des lois serait admise, non seulement la sûreté n’existerait plus, mais son ombre même ;

d-les lois positives, qui sont l’ouvrage des hommes, n’existent pour nous que quand on les promulgue, et elles ne peuvent avoir d’effet que quand elles existent ;

e-la liberté civile consiste dans le droit de faire ce que la loi ne prohibe pas. On regarde comme permis tout ce qui n’est pas défendu ;

f-que deviendrait donc la liberté civile, si le citoyen pouvait craindre qu’après coup il serait exposé au danger d’être recherché dans ses actions ou troublé dans ses droits acquis, par une loi postérieure ;

g-la loi établit, conserve, change, modifie, perfectionne. Elle détruit ce qui est ; elle crée ce qui n’est pas encore.

3-La rétroactivité et le problème des libertés

Ces principes fondamentaux ont été repris par la suite avec de légères modifications dans l’ensemble des textes juridiques tant nationaux qu’internationaux. A titre d’exemple, les quatre (4) grandes libertés qui ont permis de créer l’espace économique européen et plus près de nous, avec le Traité de Lisbonne, le futur espace social et politique repose sur : la liberté de circulation des marchandises ; la liberté de circulation des capitaux ; la liberté de circulation des services et la liberté de circulation des personnes : droit à l’établissement.

Et existe une tendance actuelle à l’uniformisation du droit des États membres, surtout le droit des affaires notamment un code européen des contrats et vieux principe juridique de l’Etat de droit, le principe de la sécurité juridique.

Il faut que les opérateurs et les citoyens liés à des Accord avec
l’Union Européenne (cela s’applique également pour le droit anglo-saxon dont les USA) sachent à quoi ils s’engagent (peuvent connaître leurs droits/obligations), d’où le principe selon lequel toute législation doit être lisible, claire, non contradictoire si possible avec des sous principes dont la non rétroactivité des lois, la protection du droit de propriété, le principe de non discrimination (principe absolument nécessaire pour le fonctionnement d’économie d’un marché : concurrence, loyauté des transactions), grâce à une information claire, permis entre autre par la veille législative.

Si une loi est en cours de négociation, il faut en informer le client de ce qui est en train de se préparer, afin qu’il s’adapte.

Autre exemple : l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme qui stipule d’une part, que nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international.

De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. D’autre part, que le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.

C’est que le droit se méfie de la rétroactivité qui peut toucher tant à la liberté des personnes qu’aux contrats (effets d’un acte présent remontant au passé), est souvent contraire à la sécurité juridique, pouvant l’être sauf d’une rare exception, la jurisprudence démontrant clairement que ces dispositions très exceptionnelles sont de plus en plus encadrées, une loi ne comportant donc pas, ordinairement, de dispositions rétroactives.

En effet, ce principe n’a pas valeur constitutionnelle et le législateur, en dehors du droit pénal peut, à certaines conditions, adopter une loi dérogeant à cet article, notamment des lois interprétatives et des lois de validation, qui constituent des exceptions au principe de non-rétroactivité devant être soumises à des conditions.

Comme les lois de validation qui sont des lois tendant à valider rétroactivement un acte dont une juridiction est saisie ou susceptible de l’être, afin de prévenir les difficultés qui pourraient naître de sa censure (acte risquant d’être déclaré illégal ou nul, par exemple parce qu’il s’appuie sur un autre acte illégal ou nul) ou des lois interprétatives afin de clarifier le sens d’une loi antérieure obscure.

Concernant les contrats, dans le droit international, les effets et les conditions conclus antérieurement à la loi nouvelle, même s’ils se réalisent postérieurement à son entrée en vigueur, demeurent en principe régis par la loi sous l’empire de laquelle ces contrats ont été passés signifiant que la loi nouvelle postérieure à la conclusion du contrat régit les effets spécialement attachés par la loi à un contrat en cours Il ne s’agit plus de la situation contractuelle (où le contrat est la loi des parties), mais des effets dont l’existence et le contenu sont déterminés par la loi en vigueur au moment où ils se produisent.

Toutefois une loi nouvelle ne doit pas bouleverser l’équilibre des contrats et conventions légalement conclus avant son intervention Aussi, en dehors des circonstances relativement rares, un acte administratif rétroactif est irrégulier et peut donc être annulé ne devant entrer en vigueur que postérieurement à son édiction, par exemple en fonction de sa date de signature pour un acte individuel favorable, de sa date de notification pour un acte individuel défavorable, ou de sa date de publication pour un acte réglementaire.

5-Conclusion : éviter le recours aux tribunaux internationaux

La valeur de Djeezy dépend fondamentalement du nombre d’abonnés algériens et rien ne pourra se faire sans l’Etat algérien.

En cas de retrait des puces, cette valeur tendrait vers zéro ce que l’on appelle la part de marché (goodwill) qui détermine une part de la valeur de l’action. Aussi, l’annonce faite par le PDG d’Orascom le 30 avril 2010 de faire intervenir le Ministre des affaires étrangères égyptien donnant une raisonnance politique à une affaire commerciale n’est pas à mon avis la bonne solution.

Qu’en sera t-il des autres affaires en partenariat actuellement Orascom/ Sonatrach, tout en se posant cette question pourquoi avoir octroyé d’autres marchés pour une entrepreneur dont ce n’est pas son métier de base ?

De même pour le gouvernement algérien, qui dans la majorité des cas selon le droit international interdit toute rétroactivité, ne peut interdire légalement cette vente au niveau international surtout pour une société cotée en bourses du fait des mécanismes économiques mondiaux et rien ne pourra se faire sans Orascom.

Les deux parties en cas de persistance du conflit, étant perdantes tant en termes financier qu’en termes d’image, (la confiance étant le fondement des affaires), le scénario catastrophe étant le dépérissement progressif de cette société. Pour une société comme d’Orascom dont la valeur est évaluée en 2008 Djezzy à 10 milliards de dollars- d’autres sources parlent de 6 à 7 milliards de dollars courant avril 2010- employant près de 3000 personnes, il serait souhaitable qu’une entente se fasse entre l’opérateur égyptien, en cas bien entendu où il y aurait cession et l’Etat algérien à travers des entreprises commerciales. Et afin d’éviter des litiges inutiles au niveau des tribunaux internationaux.

Il appartiendra dorénavant au gouvernement algérien avant de conclure des contrats, tout en se conformant au droit international, de prévoir toutes les éventualités, en évitant la vision administrative bureaucratique et en faisant participer les compétences algériennes lors de l’élaboration de ces contrats qui engagent l’avenir du pays (1).

Docteur Abderrahmane MEBTOUL, professeur d’Université management stratégique Expert international

(1) Point de vue soutenu lors de mon interview le 29 avril 2010 à la télévision internationale Al Djazeera/ Maghreb (22h).

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