Le peuple algérien a faim de changements

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    Fin 2010, le gouvernement algérien annonce avoir accumulé 155 milliards de dollars de réserves de change. Une somme mirobolante, amassée grâce aux recettes des exportations de gaz et de pétrole, et qui dort actuellement dans les coffres-forts de la Banque Fédérale Américaine (FED).

    Début 2011, paradoxalement, l’Algérie s’embrase. La population, excédée par la cherté de la vie et les problèmes sociaux dans lesquels elle se débat depuis des années, sort dans la rue.

    Le 5 janvier, des émeutes éclatent un peu partout dans le pays faisant 5 morts parmi les manifestants, 800 blessés, dont 500 policiers, plus de 1000 personnes sont arrêtées dont beaucoup de mineurs et d’importants dégât matériels touchent aussi bien les biens privés qu’ étatiques, selon un premier bilan provisoire.

    Cette fois la grogne populaire, qui se faisait entendre sporadiquement ça et là dans certains quartiers pauvres d’Alger et d’autres wilayas, gagne l’ensemble du territoire algérien (trente wilayas sont touchées), conséquence prévisible de l’incapacité de l’État à répondre efficacement aux besoins élémentaires de la population à savoir lui assurer du travail, des salaires convenables et des logements.

    Le contraste est saisissant : plus le pays s’enrichit, moins la population en profite.

    La politique du président Bouteflika, qui croyait pouvoir acheter la paix sociale avec l’argent du pétrole en injectant sans encadrement ni suivi des milliards de dollars dans le social, a manifestement échoué.

    Des émeutes de la faim ? Non, du ras le bol

    S’il reste vrai que l’élément déclencheur de ces dernières émeutes est la décision inopinée du gouvernement d’augmenter dès janvier 2011 les prix du sucre et de l’huile et par conséquent des produits qui en dérivent, il n’en demeure pas moins qu’il représente la goutte de plus, la goutte de trop qui a fait déborder le vase. Mais en réalité, le problème est plus profond.

    Tous les émeutiers interrogés sont plus au moins unanimes pour dire qu’il ne s’agit pas d’émeutes de la faim, mais l’expression d’un rejet de l’État, un État qu’ils identifient à la personne de Bouteflika, de son gouvernement et des décideurs qui l’ont installé à la tête du pays.

    Le chômage qui touche plus de 40 % de la population active de moins de 30 ans, la corruption, les passe-droit, le manque de libertés, la déliquescence des institutions de l’État, el hogra (l’injustice) poussent les algériens au désespoir, surtout les plus jeunes d’entre eux, qui ont perdu toute confiance en l’avenir.

    Pour de vrais problèmes, des solutions provisoires

    L’état d’urgence instauré en Algérie le 9 février 1992 et maintenu à ce jour pour une durée indéterminée malgré la fin de la guerre civile, étouffe la société algérienne. Les modes classiques d’expression pacifique au travers des associations ou des activités politiques sont interdits par le pouvoir.

    Du coup, le peuple a adopté un autre mode d’expression : celui de la violence.

    Selon les statistiques d’intervention des services de l’ordre, en 2010, l’Algérie a été le théâtre de 112 878 émeutes déclenchées un peu partout à travers le pays, souvent pour les mêmes raisons évoquées plus haut.

    En réponse, le pouvoir réprime, use de son appareil judiciaire pour punir les « coupables », perpétuant ainsi le cycle de la violence. Mais, la situation demeure inchangée, car, les solutions apportées ne sont pas les bonnes.

    Le pouvoir, qui est en réalité est détenu par poignée de généraux réfractaires au mode de gouvernance par les urnes, essaye de colmater les brèches par des réformes partielles au sein des institutions, l’adoption de nouvelles lois économiques ou sociales, la nomination de nouveaux ministres, etc. Mais, il évite de regarder sa réalité en face : son illégitimité historique. Il tâtonne pour gagner du temps, quitte à plonger le pays dans des crises successives.

    Depuis 1962 à ce jour, le problème majeur de l’Algérie est sa mauvaise politique. Ce problème paralyse le pays tous secteurs confondus.

    De tous les présidents qui se sont succédés à la tête de l’Etat algérien, aucun n’a été vraiment choisi par le peuple mais plutôt imposé à lui.

    Bouteflika et la tentation monarchique

    Tiré de son exilé par les généraux pour remplacer le président démissionnaire Liamine Zeroural, Abdelazziz Bouteflika est élu président de la république pour la première fois en 1999, avec un réel soutien populaire au départ.

    Son arrivée au « pouvoir » avait alors suscité beaucoup d’espoir chez les algériens à l’époque. Il avait réussi à imposer sa loi de réconciliation nationale, qui malgré ses faiblesses, a permis à l’Algérie de retrouver une certaine stabilité après une décennie de terrorisme.

    Adoubé par les généraux et soutenu par Mohamed Médiène, dit Toufik, le patron du département du renseignement et de la sécurité (DRS) l’homme le plus puissant du pays et l’architecte de sa politique, Bouteflika sera réélu en 2004 pour un second mandat.

    C’est au cours de cette période que son aura commence à se ternir auprès des algériens déçus par beaucoup de ses promesses non tenues, et que ses velléités de s’affranchir de la tutelle des généraux alertent ces derniers.

    Fin politicien, Bouteflika se débrouille pour se faire réélire pour un troisième mandat à 72 ans, après un cafouillage juridique, amendant l’article de la constitution qui limitait jusque là à deux les mandats présidentiels.

    S’entourant d’une cour de fidèles ministres, comme l’ex-ministre de l’énergie Chakib Khalil et de conseillers, dont son frère Saïd, Bouteflika fait jouer les uns contre les autres pour rester au pouvoir, en menant une politique entachée par plusieurs scandales financiers.

    La corruption explose sous son règne et son bras de fer désormais ouvert avec Toufik fait les choux les gras de la presse nationale et étrangère qui relatent les règlements de comptes entre clans opposés.

    Les partis dits d’opposition qui ont fait le choix d’intégrer le gouvernement, pour le changer de l’intérieur disent-ils, comme le RDC, le RND, le parti historique le FLN présidé par Belkahdem un proche du président, le parti islamiste le MSP, observent finalement la situation de loin, essayant de ménager leurs intérêts propres.

    Malade, Bouteflika compte mettre sur orbite son frère Saïd pour lui succéder, dans une tentative de changer la « République » algérienne en dynastie sur un modèle probablement inspiré par les pays du golfe où le président a longtemps séjournée.

    Toute cette agitation au sommet de l’Etat a fini par plonger le pays dans une phase d’instabilité et le fragilise encore plus.

    La question de l’après Bouteflika est posée avec acuité.

    Trompée par les politiques, délaissée par l’élite, laminée par le pouvoir, l’Algérie couve un volcan dont l’explosion risque de tout emporter.

    Pendant que les clans se disputent le partage du pouvoir et donc de la rente, le cœur de l’Algérie, son peuple, semble vouloir avoir son mot à dire. Se laissera-t-il berner cette fois-ci encore, comme en 88 ?

    F. A

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