Nombreux morts à Tripoli, appel d’oulémas à chasser Kadhafi..

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L’insurrection populaire contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi, qui aurait fait plus de 230 morts, dont des dizaines ces dernières 24 heures à Tripoli même, semblait lundi prendre de l’ampleur d’heure en heure.

Une coalition d’oulémas a décrété qu’il était du « devoir sacré » pour chaque fidèle libyen de se soulever contre un régime autocratique au pouvoir depuis plus de 41 ans, en raison de ses « crimes sanglants contre l’humanité » et de « l’infidélité totale » de ses dirigeants.

La répression sanglante des manifestations déclenchées il y a six jours à partir de Benghazi, la seconde ville de ce pays désertique de six millions d’habitants, principalement regroupés sur la côte, a poussé à faire défection un certain nombre de responsables.

Parmi eux figurent l’ambassadeur en Inde, le représentant de la Libye auprès de la Ligue arabe. Le journal Kourina proche de Saïf al Islam, fils de Kadhafi, rapporte lundi que le ministre de la Justice Moustafa Mohamed Aboud Al Djeleïl, qui récuse le « recours excessif à la violence contre les manifestants », a démissionné.

Saïf al Islam a été la première personnalité du régime à évoquer dimanche soir l’insurrection, au moment même où elle gagnait Tripoli, après avoir embrasé notamment Benghazi et Al Baïda, dans l’est.

Brandissant le spectre d’une guerre civile sanglante attisée de l’étranger qui aboutirait au démantèlement de la Libye issue l’indépendance, il a assuré que son père se battrait « jusqu’au bout » et qu’il disposait du soutien de l’armée pour faire régner l’ordre à n’importe quel prix.

« KADHAFI N’EST PLUS UN FRERE »

« La Libye va se fissurer en plusieurs Etats. Le séparatisme en Libye a des racines qui peuvent nous ramener à ce que nous étions il y a plus de 60 ou 70 ans. La Libye, à l’inverse de l’Egypte et de la Tunisie, est composée de tribus, de clans et d’alliances », a-t-il fait valoir.

« La Libye possède du pétrole et c’est le pétrole qui unifie la Libye. Est-ce que vous croyez que les Libyens, en cas de partition ou de guerre civile, vont conclure un accord sur le partage du pétrole en une semaine, un mois, deux ou trois ans? »

« Le pétrole sera incendié par des criminels et des gangs et des tribus et il y aura des conflits sanglants et de grande ampleur », a-t-il averti. La Libye est le quatrième pays africain exportateur de pétrole avec une production journalière de 1,6 million de barils.

Une grève sur le gisement de Nafoura y aurait stoppé la production. La compagnie BP a stoppé ses opérations de forage de gaz et de pétrole en Libye, où la crainte d’une perturbation des approvisionnements a fait grimper le prix du brut américain de six dollars.

Des émeutes ont éclaté lundi dans la localité de Ras Lanouf, siège d’un complexe pétrochimique et d’une raffinerie de pétrole, rapporte Kourina, précisant que des comités spéciaux d’ouvriers et d’habitants ont été formés pour les protéger.

Précisément, le chef de la tribu Al Zouaya, implantée dans l’est du pays, a menacé sur la chaîne de télévision panarabe Al Djazira de couper les exportations de pétrole vers les pays occidentaux dans un délai de 24 heures si les autorités ne mettaient pas fin à « l’oppression ».

Akram al Warfalli, chef de la tribu Al Warfalla, l’une des plus importantes de Libye, a pour sa part, sur la même chaîne, réclamé carrément le départ du pays de Kadhafi, qui « n’est plus un frère ».

Le secrétaire au Foreign office, William Hague, a fait état lundi d’informations sur son éventuel départ pour le Venezuela. Mais, en début de soirée, elle n’étaient pas confirmées. De source gouvernementale à Caracas, on les a d’ailleurs démenties.

« COMMISSARIAT MIS A SAC A TRIPOLI

Lundi, au terme d’une nuit de violence qui a fait selon Al Djazira une soixantaine de morts, l’immeuble du Congrès général du peuple, où Saïf al Islam a déclaré qu’une réunion devait se tenir dans la journée pour envisager des réformes politiques, était en feu.

Al Djazira rapporte que des éléments des forces de sécurité se livrent à des pillages de banques et d’autres institutions publiques dans la capitale, et que des insurgés ont attaqué et saccagé des commissariats de police. Un correspondant de Reuters a vu un commissariat en feu à Souk al Djamma, un faubourg est de la capitale.

Il rapporte que les habitants de la capitale se sont rués vers les épiceries pour stocker des denrées de base en prévision de nouveaux troubles à la tombée de la nuit. Les automobilistes forment de longues files d’attente devant les stations-service pour faire provision de « benzina ».

Sur la grande place Verte du front de mer de Tripoli, les partisans de Kadhafi ont de nouveau manifesté lundi leur soutien au « guide de la révolution » de 1969, en brandissant son portrait et des drapeaux nationaux, rapporte encore le correspondant de Reuters.

Devant la caserne de Bab el Azizia, le complexe de la capitale où Kadhafi réside et où se trouvent ses bureaux, des soldats montaient la garde comme à l’accoutumée et aucune activité particulière n’était visible.

Capitale d’une Cyrénaïque traditionnellement rétive au pouvoir de Tripoli, Benghazi est, selon un universitaire local, aux mains d’insurgés armés. Des bâtiments publics ont été mis à sac et incendies. Soldats et policiers ont quitté les rues.

« EMIRAT ISLAMIQUE » A AL BAIDA?

Salahuddine Abdullah, qui se présente comme un organisateur des manifestations, a déclaré que le climat à Benghazi était « aux festivités et à l’euphorie ». « La ville n’est plus sous contrôle militaire. Elle est complètement sous le contrôle des manifestants. »

Des membres d’une unité de l’armée se seraient joints aux insurgés et auraient défait la garde présidentielle de Kadhafi, selon le Dr Habid al Obeïdi, un chirurgien de l’hôpital Al Djalaé de Benghazi, où il dit avoir reçu des militaires blessés.

A 200 km de là, la ville d’Al Baïda est également aux mains des émeutiers, selon un habitant. Saïf al Islman, qui a mis en cause les islamistes dans cette localité, a affirmé qu’un « émirat islamique » y avait été proclamé.

La Turquie a annoncé qu’après des pillages de chantiers de constructions turcs dans l’est du pays, 581 Turcs ont été évacués au cours du week-end de Benghazi. Le gouvernement a réquisitionné deux ferries d’une capacité de 1.200 passagers pour en rapatrier d’autres sous escorte d’une frégate.

Les gouvernements occidentaux ont condamné les violences et, avec la Russie et le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, en ont réclamé la fin. Londres a commencé rapatrier les familles de ses diplomates. Les Etats-Unis ont dit réfléchir à « des mesures appropriées ».

Dans la soirée, les ministres des Affaire étrangères de l’Union européenne devaient publier un communiqué condamnant les violences en Libye au nom des Vingt-sept.

Reuters

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