Ambiance festive de la Coupe du Monde en Algérie : Où sont passées les algériennes ?

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On comptait étonnement peu de femmes parmi les supporters des Fennecs dimanche soir. Que ce soit devant l’écran géant installé place de la Grande Poste ou dans les cafés de la capitale, les supportrices n’étaient pas sorties en masse. Le football, défouloir de tous les Algériens, est-il encore réservé uniquement aux hommes ? Nous avons posé la question aux supportrices à Alger, avant l’ouverture du deuxième match des Verts.

Nombreux supporters, rares supportrices

Il est 18h, et le deuxième match de l’Algérie pour le Mondial 2014 commence dans deux heures. Sur la place de la Grande Poste à Alger, les supporters sont déjà nombreux. Les rares supportrices sont, elles, presque invisibles. Les femmes vont arriver nous assurent les hommes présents, mais à cette heure-ci, elles rentrent du travail ou préparent le repas du soir.

Peu à peu, c’est vrai, la mixité s’intensifie. À 18h30, on ne parvient déjà plus à compter les femmes sur les doigts d’une main. Mais, arrivées plus tard que les hommes, les supportrices n’auront pas droit aux places de choix. Les marches de la place, juste devant l’écran géant installé pour l’occasion, sont déjà toutes occupées par des hommes.

Les femmes ont d’autres priorités que le football

Ghaoula, venue de Tunisie avec son mari pour fêter leurs trois ans de mariage, a tout de même trouvé un petit coin agréable, un rebord de trottoir à l’ombre d’un arbre. Fille d’un célèbre joueur tunisien, Ghaoula baigne dans le football depuis qu’elle est petite. Alors pour elle, même en vacances, c’est essentiel de venir témoigner de son soutien à l’équipe algérienne. Pourtant, même si elle le fait, elle n’est pas choquée que si peu de femmes sortent voir le match sur écran géant. « En Tunisie comme ici, c’est la même chose, » assure-t-elle, « les femmes sortent peu pour le football ». « Elles ont d’autres priorités, » ajoute-t-elle, « comme le cinéma ou les séries américaines ».

Toutes les femmes présentes semblent d’accord sur ce point. La gente féminine aurait d’autres priorités que le football – la cuisine par exemple. D’ailleurs, aucune de celles que nous avons rencontrées ne s’est dite passionnée par le football. « Je n’aime pas le football ! » s’exclame ainsi Hakima en riant. « Je suis venue parce que je m’ennuyais à la maison ! ». Assise sur un bout de pelouse avec un ami, cette trentenaire se réjouit cependant de voir les supporters amassés devant l’écran. « C’est sympa ici, je profite de l’ambiance, » explique-t-elle.

Fierté nationale et ambiance festive

Nassera apprécie elle aussi la ferveur collective qui se dégage de la place en ce soir de match. Lorsqu’on lui demande pourquoi elle est venue voir le match ici, elle qui affirme ne pas s’intéresser particulièrement au football et ne connaître ni les règles ni les joueurs, son fils glisse en riant : « Elle est nationaliste ». Nassera confirme : « Oui c’est vrai, je soutiens l’équipe nationale, c’est obligé ». « C’est la fierté nationale, » ajoute-t-elle. D’ailleurs, si l’Algérie gagne, elle compte bien manifester sa fierté. « Bien sûr qu’on va faire la fête, » s’exclame-t-elle, « dans la rue, dans nos têtes, partout ! »

C’est donc l’ambiance plus que l’amour du football qui draine les femmes sur la place de la Grande Poste. D’autant que toutes soulignent la qualité de l’organisation. « Ce n’est pas dangereux ici, » affirme Hayet, professeur de sciences naturelles venue avec son mari. « Au contraire, on se sent en sécurité, il y a des policiers partout, » précise-t-elle. Ces supportrices d’un jour sont pourtant toutes venues accompagnées de leur mari ou d’un ami. Venir seule sur la place ? Hayet n’y aurait jamais songé. « Je n’aurais pas pu, » dit-elle, restant évasive. Elle n’en dira pas plus, mais il s’agit peut-être d’une remarque purement pragmatique : Hayet et son mari, inspecteur de l’éducation nationale, sont venus à Alger pour une mission auprès de l’ambassade de Suisse. Et en profitent pour regarder les matchs sur écran géant. « On a vu le match contre la Belgique ici aussi, » explique Hayet. « On aime être ici, avec tout le monde. Dans notre ville, rien n’est organisé malheureusement ».

Même si elles ne se disent pas supportrices invétérées des Verts, les femmes présentes sur la place ont toutes une opinion sur l’équipe nationale. Toutes ont un joueur favori – Halliche, M’Boli, Bougherra sont les noms qui reviennent le plus. Mais, dès que l’on commence à parler technique et stratégie, les hommes reprennent le dessus. Les connaisseurs, ce sont eux, pas elles. D’ailleurs, lorsque Hayet ose une analyse, affirmant que le plus gros problème des Verts est leur entraineur, Halilhodzic, elle ajoute, montrant du bras les hordes de supporters : « Enfin moi, je n’y connais rien, mais c’est ce qu’ils disent ».

À l’écoute de ces témoignages, on serait tenter de penser que la question de la place des femmes dans les espaces publics en ces soirs de communion national est finalement moins politique qu’elle n’y paraît. Simplement, si la plupart des femmes ne sortent pas voir les matchs, c’est parce qu’elles ne portent pas au ballon rond un grand intérêt.

Fenêtre de liberté limitée pour supportrices déchaînées

Mais cette explication contraste avec l’enthousiasme débordant de la plupart des Algériennes dès lors qu’une conversation tourne autour du football. En privé – en famille ou avec des amis – les Algériennes prouvent qu’elles aiment le football autant que les Algériens. Elles qui suivent assidument les Fennecs et connaissent le nom des joueurs sur le bout des doigts défendent becs et ongles leurs avis et livrent leurs pronostics sans sourciller. Sûres de leur légitimité.

Pourquoi alors une telle dichotomie entre le comportement privé des Algériennes et leur présence dans la rue les soirs de match ? Dimanche, une sorte de fenêtre leur était ouverte : entre 18h30 et 1h du matin, on a vu des femmes et des filles danser, hurler, chanter. Elles étaient nombreuses sur les voitures qui ont défilé après la victoire des Fennecs, drapeaux autour des épaules et fumigènes à la main. Mais dès 1h du matin, les hommes ont repris leur territoire. Une courte fenêtre de liberté donc. D’autant que, si l’on y réfléchit bien, la voiture peut elle aussi être considérée comme une recréation de l’espace privé au sein de l’espace public qu’est la rue.

La place de la femme dans l’espace public

Au-delà du football, ces jeux de pouvoir urbains témoignent que l’homme règne toujours en maître dans la rue, qui reste un espace hostile à la femme. De nombreux intellectuels se sont d’ailleurs penchés sur cette question, plus générale, de la présence féminine dans l’espace urbain. Exemple parmi d’autres, en octobre 2013, l’écrivain, romancier et poète Rachid Oulebsir écrivait dans les colonnes du quotidien Le Matin que « l’émergence de la femme sur l’espace externe que l’ancienne culture réservait à l’homme est l’un des terrains de compromis entre la vieille culture villageoise et les exigences de sécularisation nécessaires à la socialisation secondaire ». Mais, si la présence de la femme dans l’espace public est devenue « licite », son espace « naturel » reste le domaine privé expliquait Oulebsir. Plus encore, la femme conquiert ce morceau d’espace public à ses dépens. « Harcèlement, agressions, violences verbales, viols sont le lot quotidien de la femme qui doit marcher droit  baisser les yeux, subir le regard masculin sans broncher, » écrivait encore Oulebsir.

Les supportrices algériennes existent, et aiment le foot autant que leurs camarades masculins. Comme eux, elles ont explosé de joie après chacun des 4 buts marqués dimanche soir par les Fennecs. Mais, à l’inverse des hommes, elles n’ont pas célébré la victoire toute la nuit dans les rues d’Alger. Deux heures après le coup de sifflet final, les femmes ont rendu l’espace qu’elles avaient illégitimement occupé.

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