Entretien/ Ferhat Aït Ali, analyste financier: « Si on calcule le PIB en dinars constants ou en dollars, on pourra même parler de récession »

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    Dans cet entretien accordé à Algérie Focus, l’analyste financier Ferhat Aït Ali commente les dernières mesures visant à faire face à la crise et relancer l’économie nationale, annoncées hier par le Premier ministre Abdelmalek Sellal. Il nous livre ainsi son éclairage en distinguant entre les bonnes et les mauvaises mesures ainsi qu’entre ce qui est réalisable et ce qui relève de la chimère.

    Algérie-focus: Le Premier ministre a annoncé hier un ensemble de mesures visant à faire face à la crise et relancer l’économie nationale. Qu’en pensez-vous?

    Ferhat Aït Ali: Certaines sont bonnes et d’autres mal calculées, mais il n’a pas osé les annoncer directement. Il l’a fait par insinuations pour ne pas avoir ses détracteurs et adversaires dans les pattes avant l’heure.

    Commençons par ce qui est positif. Lesquelles estimez-vous « bonnes »?

    Il y a déjà la projection de relance de la production locale tous azimuts, par le disponible sur place et non pas par de nouvelles acquisitions et cela est faisable. Il y a aussi la préférence aux producteurs sur les importateurs en matière fiscale et bancaire, mais aussi la libération du foncier industriel. Cependant, si cela n’est pas accompagné de textes claires et de gardes-fous, on verra les mêmes intervenants bloquer toute la machine ou la débrider au profit des copains et coquins, en dilapidant ce qui reste encore sur place.

    Passons maintenant au négatif. Quelles mesures estimez-vous mal calculées?

    Pour les mauvaises, il y a surtout le maintien des subventions dans le schéma actuel et les promesses de maintien du niveau de vie et autres programmes de logements, alors que le Premier ministre sait qu’il ne pourra pas les tenir. Il a déjà dévalué le dinar, ce qui est une attaque direct contre le pouvoir d’achat des citoyens et une augmentation des coûts internes des programmes d’infrastructure, tous les marchés devant être ou révisés ou résiliés en interne.

    Pouvez-vous mieux nous éclairer sur ce point par un exemple concret?

    Imaginez un entrepreneur local qui a obtenu un marché, avec 60% d’inputs importés, et qui a soumissionné en dinars sur la base de 79 dinars le dollar, mais qui au beau milieu du marché se retrouve avec des inputs augmentés de 35 %. Il fait comment?

    Le Premier ministre a indiqué que la Loi de finances 2016 prévoit la réduction des dépenses publiques de près de 9%. Un tel objectif est il réalisable?

    Il l’a fait à hauteur de 1% pour la LFC 2015 sur les budgets d’équipements, mais le problème est dans le calcul de cette LF 2016. Si elle est calculée en dinars, elle est réduite de facto de 25 milliards par simple conversion des dinars au cours actuel. En revanche, si elle est calculée en dollars je voudrais voir pour y croire, mais dans l’absolu c’est faisable au niveau des équipements, en éliminant tous les programmes neufs des administrations publiques.

    M. Sellal a également fait savoir que la LF 2016 projette un taux de croissance du PIB de 4,6%. Une telle projection est-elle fondée?

    Encore faudrait-il que l’on se mette d’accord sur ce que l’on appelle le PIB dans l’absolu, et sur la base de calcul retenue. Si on considère que le cumul de dépenses sans projets ni objet peut faire un PIB, il est évident que l’on peut avoir de la croissance même dans la misère absolue, ou en usant ses dernières cartouches dans cette chimère de taux de croissance. Sinon, il faudra réviser ses batteries à la lumière de vrais repères, plus pérennes. En second lieu, si nous calculons le PIB en dinars fluctuants, il est évident que nous pouvons obtenir un taux de croissance même tiré par les cheveux, en additionnant toutes les dépenses induites par l’inflation. Toutefois, si on calcule en dinars constants ou en dollars, il est évident que le nouveau PIB attendu en 2016, une fois converti en dollars en PIB, il sera difficile de parler de croissance, ni même de maintien en l’état, on pourra même parler de récession dans toute l’étendue du terme. Même dans les pays nantis, cet objectif de croissance, qui ne reflète plus la sphère financière et ses spéculations que la sphère productive réelle et ses réalités sur le terrain, est de plus en plus remis en cause par tous ceux qui en ont assez de se voir analyser des chimères de bourse.

    Entretien réalisé par Yacine Omar

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