Le bras de fer inédit entre le Mali et l’Algérie : L’Accord d’Alger en péril

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Le bras de fer inédit entre le Mali et l'Algérie : L'Accord d'Alger en péril

Un climat de tension diplomatique s’installe entre le Mali et l’Algérie. Le président malien de la transition, Assimi Goïta, a provoqué un émoi international en annonçant, lors de son discours du 31 décembre, le lancement d’un « dialogue direct inter-malien pour la paix et la réconciliation ».

Cette déclaration remet en question l’Accord d’Alger, signé en 2015 avec la médiation de l’Algérie et impliquant les groupes rebelles touaregs du Nord du Mali. Cette initiative traduit la méfiance grandissante de Bamako envers son voisin algérien, traditionnel médiateur régional, aujourd’hui accusé d’ingérence.

Nouvelle Confrontation au Nord-Mali

L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, communément appelé « accord d’Alger », a été négocié après la reprise en 2014 de plusieurs localités du Nord par les groupes rebelles, notamment la ville de Kidal.

Dans le but de prévenir l’éclatement de l’État et de rétablir la paix, cet accord prévoyait le désarmement de ces groupes et leur intégration au sein de l’administration malienne. Parallèlement, il prévoyait d’octroyer des pouvoirs politiques élargis à cette région du Nord, connue sous le nom d’ « Azawad », tout en évitant de lui accorder un statut autonome.

Les nouveaux dirigeants maliens, issus des coups d’État en août 2020 et mai 2021, avaient initialement promis de poursuivre la mise en œuvre de cet accord. Cependant, leurs relations avec les anciens groupes rebelles se sont progressivement dégradées, jusqu’à atteindre un point de rupture.

Après avoir exigé et obtenu le départ de la Minusma – la mission des Casques bleus au Mali, chargée de superviser la mise en œuvre de l’accord –, les forces armées maliennes ont lancé, en été, une opération militaire dans le Nord, perçue comme une déclaration de guerre par les groupes signataires. Mi-novembre, l’armée, accompagnée de mercenaires de la milice russe Wagner, a repris la ville de Kidal, qui était depuis une décennie aux mains des groupes armés touaregs.

L’Algérie : Un Acteur Clé aux Yeux du Mali

L’Algérie, voisine de la région de Kidal et médiateur en chef entre le Mali et les groupes armés du Nord, considère cette reprise des hostilités avec inquiétude.

Malick Konaté, journaliste malien, souligne : « L’implication d’Alger dans le processus de paix au Mali n’est pas désintéressée. Les deux pays partagent une frontière de 1 300 km, et l’Algérie considère la présence de groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique dans cette zone comme une menace pour son propre territoire. »

Mamadou Ismaïla Konaté, ancien ministre malien de la Justice, renchérit : « Alger est le principal médiateur sur la question touarègue au Mali depuis plus de 50 ans, et ce n’est pas un hasard. Les liens sont à la fois culturels, sécuritaires et économiques, car l’Algérie est un fournisseur essentiel de denrées alimentaires pour tout le Nord du Mali. »

En février 2023, alors que les tensions entre les autorités de transition maliennes et les groupes signataires étaient déjà palpables, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, avait reçu une délégation d’anciens rebelles venus solliciter l’aide de l’Algérie. Ces derniers accusaient le gouvernement malien de traîner les pieds quant à la mise en place du processus de paix.

Dans un courrier confidentiel adressé aux médiateurs algériens, Bamako avait dénoncé une « collusion de plus en plus manifeste » entre des groupes signataires et des groupes terroristes, ainsi que des violations répétées de l’accord. Les autorités maliennes avaient également critiqué la médiation internationale dirigée par l’Algérie, l’accusant de ne pas avoir « condamné ces violations » ni « rappelé à l’ordre » leurs auteurs.

En décembre, à l’occasion de la fin du mandat de la Minusma au Mali, l’Algérie a lancé un nouvel appel aux différentes « parties maliennes pour renouveler leur engagement » dans le processus de paix, « afin de répondre aux aspirations légitimes de toutes les composantes » de la population.

Cependant, ce message a été mal perçu par les autorités maliennes, désormais engagées dans une guerre ouverte contre les groupes armés du Nord.

Les Événements Récents Ravivent les Tensions

Dans ce contexte tendu, les nouvelles consultations organisées en décembre en Algérie avec les groupes rebelles, ainsi que la visite à Alger de l’imam Mahmoud Dicko, reçu le 19 décembre par le président Abdelmadjid Tebboune, ont aggravé la situation.

Mahmoud Dicko, figure de premier plan lors des manifestations ayant conduit à la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta, est aujourd’hui en conflit ouvert avec la junte militaire. Il critique notamment la durée « indéfinie » de la transition et s’oppose au référendum constitutionnel organisé en juin.

En réaction à ces événements, le gouvernement malien a condamné des « actes inamicaux » ainsi qu’une « ingérence dans les affaires intérieures du Mali ». Il reproche notamment à l’Algérie d’avoir rencontré les rebelles sans l’associer à ces entretiens. De son côté, l’Algérie estime qu’il lui revient de mener de telles consultations pour relancer le dialogue, en tant que chef du Comité de suivi de l’accord de paix.

Les ambassadeurs algérien et malien à Bamako et Alger ont d’abord été convoqués pour des « consultations », mais ils ont depuis été rappelés dans leurs pays respectifs.

Mamadou Ismaïla Konaté analyse la situation en ces termes : « On peut considérer la réception de l’imam Dicko par le président algérien dans le contexte actuel comme une maladresse diplomatique de la part d’Alger. Cependant, les autorités maliennes ont surréagi en accusant leur voisin d’ingérence, alors que les deux pays ont toujours travaillé ensemble, tant sur le plan diplomatique que militaire. Jamais les relations entre l’Algérie et le Mali n’avaient atteint un tel niveau de crise. »

« C’est un contentieux inédit qui doit absolument être résolu. Si l’accord d’Alger pose réellement problème, alors les autorités maliennes doivent s’en retirer officiellement. Cependant, exclure l’Algérie ne rétablira pas un climat propice aux négociations sur la question touarègue », conclut-il.

La Crise Diplomatique S’envenime

Lors de son discours du 31 décembre, Assimi Goïta a annoncé la création d’un comité chargé de piloter le nouveau « dialogue inter-malien » dans un délai d’un mois, tout en promettant de poursuivre la « lutte contre les groupes armés terroristes ».

Cependant, ce dialogue a déjà été qualifié de « simulacre » par l’un des porte-parole de la rébellion touarègue, Mohamed Elmaouloud Ramadane, qui a exclu toute participation, dénonçant « une manière de prononcer la caducité définitive » de l’accord de paix.

La tension entre le Mali et l’Algérie atteint un niveau inédit, mettant sérieusement en péril l’Accord d’Alger de 2015, destiné à ramener la paix dans le Nord du Mali. Les désaccords et les accusations d’ingérence ont plongé les deux pays dans une crise diplomatique aiguë, remettant en question la médiation algérienne et l’avenir de la réconciliation. Alors que le Mali lance un « dialogue direct inter-malien », l’issue de la région reste incertaine, avec un dialogue déjà qualifié de simulacre par certains acteurs majeurs. Il est impératif que les autorités maliennes et algériennes trouvent une solution pour sortir de cette impasse et rétablir la stabilité dans le Nord du Mali, une région déjà éprouvée par des années de conflit.

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