Mémoire algéro-française : L’Écriture Commune de l’Histoire, Entre Enjeux et Désaccords

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Mémoire algéro-française : L'Écriture Commune de l'Histoire, Entre Enjeux et Désaccords

L’histoire a ses méandres, ses douleurs et ses secrets. Elle peut être une source de réconciliation ou de discorde, de compréhension mutuelle ou de désaccord profond. C’est dans cette optique que l’Algérie et la France ont décidé de confier le délicat dossier de la mémoire à un panel d’historiens qui s’est réuni pour la première fois mercredi dernier à Constantine. Une initiative sans précédent, mais non exempte de controverses, comme en témoigne le diplomate Abdelaziz Rahabi, fervent critique de cette « écriture commune » de l’histoire.

La mise en place du panel, constitué de cinq historiens algériens et autant de leurs collègues français, a été décidée lors de la visite en Algérie du président français Emmanuel Macron en août 2022. Les membres du panel ont été désignés par les présidents Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron respectivement en décembre 2022 et janvier 2023. Les deux groupes sont dirigés par les historiens Mohamed El Korso côté algérien, et Benjamin Stora côté français.

Les Décisions de la Première Rencontre

Le panel a tenu sa première rencontre le mercredi 22 novembre à Constantine, une ville chargée d’histoire. À l’issue de cette réunion, plusieurs décisions ont été prises, marquant ainsi le début d’une collaboration historique entre les deux nations. L’une des décisions phares a été la restitution à l’Algérie de 2 millions de documents numérisés, des rouleaux de la période ottomane, et des objets ayant appartenu à l’Émir Abdelkader, une icône de la résistance algérienne.

De plus, les deux parties ont convenu de se réunir tous les deux mois, alternativement en Algérie et en France, afin d’intensifier les échanges de visites d’universitaires. Cette démarche vise à encourager une meilleure compréhension des perspectives historiques de chaque côté de la Méditerranée.

L’Opposition de Rahabi : Une Voix Dissidente

Cependant, au milieu de cette initiative historique, la voix critique du diplomate Abdelaziz Rahabi se fait entendre. Rahabi, qui s’exprime régulièrement sur la question, parle d’une démarche « discutable ». Dans une déclaration à TSA, il déclare : « Les gouvernements algérien et français ont la légitime ambition de porter les relations à un niveau qualitatif, mais le faire par ‘l’écriture commune de notre histoire avec l’ancienne puissance coloniale est une démarche discutable, singulière et unique dans l’Histoire. »

Ce n’est pas la première fois que Abdelaziz Rahabi exprime son désaccord avec la démarche. Le 8 mai dernier, à l’occasion de la commémoration des massacres de 1945, il avait écrit que la non-reconnaissance de ce « crime d’État » procède du « déni du colonialisme », ajoutant que c’est dans cet esprit que s’inscrit le projet d' »écriture partagée de l’histoire » entre l’Algérie et la France. « Nous devons prendre conscience que nous sommes en réalité devant un déni de légitimité de l’histoire de l’Algérie, même s’il prend la forme d’une initiative diplomatique », avait souligné l’ancien ambassadeur d’Algérie en Espagne.

La Quête de la Vérité Historique

La question de la mémoire historique est complexe et sensible. D’un côté, il y a une quête de la vérité, de la reconnaissance des souffrances endurées pendant la période coloniale, et de la justice pour les atrocités commises. De l’autre, il y a la nécessité de construire un avenir de coopération et de compréhension entre deux nations liées par une histoire tumultueuse.

Le panel d’historiens, composé d’éminents chercheurs des deux côtés, est censé jouer un rôle crucial dans la recherche de cette vérité historique. Mais la question demeure : peut-on réellement parvenir à une « écriture commune » de l’histoire entre deux pays qui ont connu une relation coloniale si complexe et douloureuse ?

Les Attentes des Deux Parties

L’Algérie espère que cette initiative permettra de faire la lumière sur de nombreux aspects de son passé colonial, et que la France reconnaîtra officiellement les souffrances infligées pendant la période coloniale. Pour la France, il s’agit également de faire face à son histoire et de réconcilier les mémoires, tout en préservant la relation bilatérale actuelle.

Benjamin Stora, historien et co-leader du groupe français, a déclaré lors de la première rencontre : « Notre rôle n’est pas de nier ou de réécrire l’histoire, mais de la comprendre dans toute sa complexité. » Cette déclaration résume l’objectif central du panel : la compréhension mutuelle à travers une analyse historique approfondie.

Des Défis à Surmonter

Cependant, la route vers une mémoire partagée est semée d’embûches. Les enjeux politiques et émotionnels sont énormes. Certains estiment que la France n’a pas encore fait suffisamment de travail de mémoire et de repentance, tandis que d’autres en Algérie craignent que cette initiative ne soit qu’une manière de diluer la responsabilité de la colonisation.

Le panel devra naviguer habilement à travers ces eaux tumultueuses pour parvenir à un consensus sur la manière dont l’histoire commune doit être racontée. Les historiens auront un rôle essentiel à jouer en fournissant des analyses éclairées et basées sur des preuves, mais la voix du peuple doit également être entendue.

Les Voix du Peuple

Les témoignages et les opinions du peuple, en particulier des descendants des victimes de la colonisation, sont cruciaux pour comprendre l’impact de cette histoire partagée. Les histoires personnelles, les récits familiaux, et les cicatrices laissées par la colonisation doivent être pris en compte dans le processus de réconciliation et de compréhension.

Dans cette optique, des interviews et des témoignages de personnes ayant vécu cette époque pourraient enrichir le travail du panel. Ces récits authentiques donnent un visage à l’histoire et rappellent que derrière chaque document numérisé se cache une histoire humaine.

Une Quête de Vérité et de Réconciliation

La démarche entreprise par l’Algérie et la France pour écrire leur histoire commune est à la fois audacieuse et controversée. Elle représente un pas vers la réconciliation, la compréhension mutuelle, et la reconnaissance des souffrances passées. Cependant, elle est également source de divisions et d’oppositions, comme en témoigne le désaccord persistant d’Abdelaziz Rahabi.

La route vers une mémoire partagée est longue et semée d’obstacles, mais elle est essentielle pour construire un avenir de coopération et de paix entre deux nations qui ont partagé une histoire tumultueuse. Les historiens du panel joueront un rôle crucial, tout comme les voix du peuple, dont les témoignages et les récits personnels contribueront à éclairer cette quête de vérité et de réconciliation.

L’écriture commune de l’histoire peut être une démarche complexe, mais elle offre l’opportunité de guérir les blessures du passé et de forger un avenir plus prometteur pour les générations à venir. C’est une entreprise qui mérite d’être suivie de près, car elle façonne non seulement l’histoire, mais aussi l’avenir des relations entre l’Algérie et la France.

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