Newtown : Nos condoléances sélectives et nos inhumanités musulmanes par Kamel Daoud

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    Le matin, avant-hier, l’info : un massacre à Newtown, aux USA. Un jeune homme massacre 20 enfants et six adultes dans une école primaire au Connecticut. C’est horrible, mais c’est loin, ailleurs, dans l’Autre monde, sans nous : les condoléances algériennes sont à peine audibles. Sinon inexistantes.

    Cela se passe ainsi, dans le monde dit arabe, quand on tue trente chrétiens au Nigeria ou deux cents païens. Rien. On ne sent pas l’obligation de la compassion, ni le devoir de la solidarité par l’émotion. Cela a toujours frappé le chroniqueur cette « humanité » sélective : le pire vice des religions et des identités : ne sentir la douleur que celle des siens et voir celle des autres comme un spectacle ou une punition du ciel. Puis aller crier au racisme et à un Occident sans valeurs si l’Occident ne s’émeut pas de la mort d’une dizaine de musulmans quelque part. A un texte sur la pensée unique pro-palestinienne et l’obligation de voir et subir le problème palestinien selon l’orthodoxie, un internaute a même répondu au chroniqueur que « le Tibet ne nous importe pas ». Car ils ne sont pas arabes ni musulmans.

    Donc si les musulmans se font tuer, le Monde, alias l’occident, doit compatir. Si c’est le contraire, on regarde sur la télévision. D’où l’impasse : on ne peut pas revendiquer l’universalité et l’humanité quand on la refuse aux autres qui vous la refusent. On ne peut pas demander au monde d’accepter notre présence quand on y répond par l’absence et la différence. L’humanité des « arabes » et des musulmans qui en sont les produits dérivés, est à hiérarchies multiples et scandaleuses : elle ne reconnait pas l’humanité à l’Autre que soi et s’enferme du coup dans l’exclusion : on n’a rien ressenti sur la mort d’adolescents aux USA. Et sur la tuerie de Toulouse par Mohammed Merah, la réaction s’est enfermée et a ignoré avec superbe et drame l’assassinat des enfants juifs de l’école de Toulouse et n’a retenu que leur signe religieux. Mais on ne semble pas comprendre, à la fois, pourquoi chaque Algérien ou chaque « arabe » soit enfermé dans la caricature de l’arabe et du musulman ou islamiste alors que ce sont d’abord nos actes et nos idées qui nous y enferment.

    Ce genre de réflexion répond généralement le même canevas de réactions : ce sont eux qui ont commencé. Ou : on traite le monde comme on nous traite. Ou : qui pense aux enfants de la Palestine ? Ou (discrètement) : Ce sont des impies, eux et leurs enfants. Ou : ils n’ont que ce qu’ils méritent. Ou : ces condoléances seront un signe de soumission. Un étrange remake de ce que l’on reproche justement à l’Autre, à l’Occident et au monde qui n’est pas nous, comme nous. Et ce n’est pourtant jamais qu’en restaurant en nous notre humanité et en restaurant l’humanité de l’autre en nous-mêmes que l’on peut exiger du monde le partage et la compassion et sortir de ce exil affreux que nous nous imposons aux noms de la nationalité, de la culture ou, surtout de la religion. Et pour reprendre ce qui a été écrit plus haut, ce manque de compassion et de réaction a toujours heurté et frappé le chroniqueur quand il s’agit de chrétiens assassinés au Nigéria, de bouddhistes tués en Birmanie, de païens massacrés dans le pays Sindbad. On n’en éprouve rien. L’adversité nous tue et nous laisse mort. Tout est perçu à travers notre rapport à l’Occident et notre rapport avec ceux qui ne sont pas arabes ou musulmans. Tout est vu et revu à travers notre histoire, nos traumas et nos guerres et croisades. Tout ce qui n’est pas nous, est contre nous. Comme un vieux centre grincheux du monde, un empire qui vieilli mal et n’éprouve rien d’autres que de la nostalgie et des douleurs d’articulations.

    Donc condoléances à tous les enfants tués du monde. Et, aujourd’hui, à ceux de la ville de Newtown. N’en déplaise aux « interprétateurs » morbides et aux terroristes de leur propre humanité.

     

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