Si la burqa était chrétienne, comment réagirions-nous ?

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Si un groupuscule, formé depuis une soixantaine d’années, expliquait à tous les chrétiens qu’ils n’ont rien compris à leur Bible, que ferait-on ? Si ce groupuscule prétendait que dorénavant, les femmes doivent enrouler leur tête dans une écharpe violette pour être plus près de Dieu, ouvrirait-on un débat sur la laïcité ?

Ferait-on le procès de la chrétienté ? Menacerait-on les croyants de ne plus obtenir la nationalité française s’ils adoptent une « pratique radicale de leur religion » ?

Non, on se demanderait pourquoi certains jeunes écoutent ce type de discours archaïque. On se demanderait aussi pourquoi ils ont besoin de s’identifier à Jésus pour exister. Les psychologues expliqueraient qu’un discours « fait autorité » sur quelqu’un lorsqu’il donne du sens à sa vie Un ou deux hommes politiques auraient la hardiesse d’envisager une remise en question sociale et politique de la gestion des banlieues…

Les spécialistes des sectes remarqueraient qu’ils utilisent la religion (qui veut dire « relier ») pour mener les jeunes à l’auto-exclusion et à l’exclusion des autres et analyseraient les ressorts des discours de ces « prédicateurs-gourous » afin d’envisager une véritable prévention…

Peut-être se dirait-on aussi qu’il faut revoir le niveau de culture générale sur l’histoire chrétienne auprès de la jeune génération… et des professionnels de la jeunesse ! Et chacun interviendrait auprès des jeunes pour leur demander ce qui ne va pas, pourquoi ce besoin de rupture ?

Et on interdirait sans doute ce drap violet, mais pas au nom du respect de la République. On l’interdirait au nom du respect de la culture chrétienne qui exige que chaque être humain possède une identité, un visage différencié et différenciable, bref un contour identitaire particulier.

Les musulmans pris la main dans le sac

Mais lorsqu’il s’agit de l’islam, il n’y a plus de bon sens et tous les penseurs et décideurs perdent leur latin, ou plutôt perdent leur grille de lecture psychologique, sociale, économique, psychanalytique. Le débat sur ce drap noir est venu raviver les représentations négatives sur l’islam.

C’est comme si on avait pris les musulmans la main dans le sac : on savait bien que votre Coran fourmille de trucs ignobles sur les femmes ! Et voilà que les députés se mettent à énumérer la liste des comportements machistes des « garçons de cités » dans le rapport sur le voile intégral, comme si c’était le résultat de « l’application de l’islam ».

Et voilà que les députés appellent ce drap noir « une pratique radicale de la religion ». C’est ainsi que la République valide les interprétations des radicaux. Au lieu de désamorcer leur autorité en les traitant comme de simples groupuscules sectaires qui instrumentalisent la religion auprès de jeunes qui ne la connaissent pas, les voilà promus « musulmans », voire « musulmans fondamentalistes », comme si les fondements de l’islam consistaient à enfermer les femmes dans un drap noir !

Ceux qui prônent la burqa jubilent puisque le débat public est en train de valider leur comportement comme musulman. Ceux qui veulent éradiquer l’islam jubilent aussi puisque la preuve est faite : cette religion est définitivement archaïque.

Être choqué par une burqa, c’est respecter l’islam

Il existe bien un monde bipolaire avec d’un côté l’Occident qui a inventé la modernité et de l’autre, le monde arabo-musulman qui serait par essence incapable de produire la moindre lumière.

Pourtant, si l’on avait traité « la chose » avec des arguments de droit commun – atteinte à l’ordre public et au droit de la personne – , cela aurait pu faire avancer le débat.

Etre choqué par une burqa, c’est respecter l’islam, puisque cela revient à s’étonner et à être persuadé que la religion musulmane ne peut édicter ce type de conduite archaïque. Etre choqué par la burqa, c’est connaître toutes les richesses que cette religion a apporté aux civilisations.

C’est savoir que le Coran pose l’égalité de l’homme et de la femme devant Dieu et met en place toute une stratégie pédagogique pour conduire les Arabes du VIIème siècle à considérer les femmes comme des Sujets pensants et autonomes, en les incitant, pour commencer, à accéder au savoir. Rappelons tout de même que la première épouse du Prophète était sa patronne et qu’ensuite, son épouse préférée était la meilleure professeur de Médine !

Etre choqué par la burqa, c’est aussi tenter d’introduire une faille dans les certitudes de ces jeunes endoctrinés. C’est les obliger à élaborer une pensée sur ce que les prédicateurs-gourous veulent présenter comme une simple application de la religion. Et s’ils se remettent à « penser leur islam », ils passent du statut d’adeptes qui miment leur gourou à celui de croyants qui réfléchissent à ce que Dieu veut leur dire.

Donia Bouzar, anthropologue
Rue89

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