Angela Merkel, la « dame de plomb »

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Depuis le début de la crise, en 2007-2008, Angela Merkel ne cesse d’administrer la preuve qu’elle n’a pas l’étoffe dont ont fait les grands dirigeants. Sans doute bon capitaine par temps calme, la chancelière allemande se révèle incapable d’affronter les mers démontées. En d’autres mots, elle navigue à vue, sans vision politique, sans autorité. On peut se demander si cette chancelière aurait été capable d’imposer l’euro à ses citoyens comme l’a fait Helmut Kohl en son temps, bravant une opinion très majoritairement hostile. Angela Merkel est désormais devenue le principal problème de l’Europe.

Pour complaire à la Bild Zeitung et à sa campagne antigrecque d’une puante xénophobie qui rappelle de sombres souvenirs et surtout ne pas perdre une élection régionale qui s’annonce difficile, la chancelière semble désormais prête à sacrifier la zone euro, certaine que l’Allemagne arrivera toujours à s’en sortir, ce qui est possible. Ainsi, aujourd’hui, à la veille du sommet européen de jeudi et de vendredi, l’Allemagne a bloqué tout accord sur un plan de sauvetage de la Grèce, ce qui risque de déchainer les marchés contre une zone dont les désaccords n’ont jamais été aussi patents et profonds. Mercredi soir, l’euro est d’ailleurs tombé à 1,33 dollar, son plus bas niveau depuis dix mois et ce n’est pas fini. La convocation d’un sommet de la zone euro, demandé par la France et l’Espagne, en prélude du Conseil à Vingt-sept, n’est plus à l’ordre du jour.

Pourtant, le 11 février, lors d’un Conseil européen informel, l’Allemagne avait promis, avec ses partenaires, de soutenir la Grèce si elle adoptait un plan de rigueur afin de purger ses comptes publics. Ce qu’elle a fait. À l’issue de l’Eurogroupe du 15 mars, les ministres des Finances ont donc mis la dernière main à un plan d’intervention qui aurait pris la forme de prêts bilatéraux coordonnés par la Commission, intervention qui n’aurait eu lieu que si les marchés continuaient à exiger des taux d’intérêt trop élevés. Mais, deux jours plus tard, la chancelière a fait marche arrière devant le Bundestag, réclamant implicitement l’exclusion de la Grèce de la zone euro… Le message est clair : pas question d’ouvrir le porte-monnaie plein de bon argent allemand pour aider les « menteurs grecs » ou les « fainéants grecs ». La crise qui se calmait est repartie de plus belle : les taux d’intérêt grecs se sont de nouveau envolés, étranglant davantage le pays.

Pour Merkel et ses alliés libéraux du FDP, la Grèce n’a qu’à s’adresser au FMI qui est là pour ça. Une position que ne partagent ni son ministre des finances, Wolfgang Schäuble, ni même la Bundesbank qui estime que le FMI n’a pas compétence à intervenir puisque la Grèce n’est pas confrontée à une crise monétaire, mais budgétaire. Certes, Berlin ne s’oppose pas à ce que certains pays européens aident la Grèce par des prêts bilatéraux, mais elle ne participera en aucun cas à un tel mécanisme. Une telle absence de l’Allemagne ne pourra être interprétée par les marchés que comme le prélude à une implosion d’une zone euro manifestement privée de direction politique.

Preuve de la gravité de la situation, José Manuel Durao Barroso, le président de la Commission, est enfin sorti de son très long silence, vendredi : « nous ne pouvons pas continuer avec la situation actuelle, car cela menacerait la stabilité de la zone euro et encouragerait la spéculation », a-t-il déclaré au quotidien allemand Handesblatt. « Assurer la stabilité de l’union monétaire est dans l’intérêt de l’Allemagne ». Il a annoncé dans la foulée qu’il était prêt à présenter, lors du conseil européen, un plan d’aide coordonné à la Grèce. C’est ce plan qui a été remballé aujourd’hui par Berlin. Guy Verhofstadt, le président du groupe libéral au Parlement européen, ne comprend guère l’hystérie allemande : « la Grèce n’a pas besoin d’argent. Elle a besoin d’un instrument qui permet de payer des taux d’intérêt moins élevés sur ses obligations d’État. Il n’y a rien à payer : ce sont simplement les marchés qui vont avoir moins d’argent et les citoyens grecs davantage ». « En disant que la Grèce a besoin d’argent, on pollue l’ambiance, on suscite une attitude antieuropéenne chez les citoyens », dénonce-t-il. « Mais certains pensent qu’ils peuvent s’en sortir tout seuls ».

Cette attitude égoïste de Merkel n’est pas nouvelle. Il faut se rappeler qu’en octobre 2008, elle s’était aussi opposée à tout plan européen d’aide aux banques en estimant que les établissements allemands n’étaient pas exposés à la crise. Elle a d’abord tué dans l’œuf un fonds de secours européen doté de 300 milliards d’euros avant d’envoyer paitre ses partenaires français, britannique et italien lors d’un mini-sommet à Paris, le 5 octobre 2008. « La chancelière nous a dit “chacun sa merde” », a résumé en privé Nicolas Sarkozy. Mais la faillite, le soir même, de la plus importante banque hypothécaire allemande, Hypo Real Estate, l’a fait changé d’avis. Une semaine plus tard, le premier sommet de l’Eurogroupe de l’histoire adoptait le plan européen que la « dame de plomb » jugeait inutile une semaine plus tôt.

Ce refus de jouer collectif ne s’est pas arrêté là. Merkel a ensuite rejeté l’idée d’un plan de relance économique européen, estimant que l’Allemagne était à l’abri de la récession. Elle attendra d’être placée devant l’évidence pour adopter, après tous ses partenaires un plan national massif dont elle doutait de la pertinence trois semaines auparavant. Même chose pour le plan d’aide au secteur automobile : elle a bloqué la mise en place d’une véritable « CECA » automobile que proposait la France pour finalement se rallier quelque temps plus tard à la prime à la casse mise en place par ses partenaires. Résultat : une absence de coordination quasiment totale qui a plombé la reprise européenne.

On reste pantois devant autant de lourdeur et d’incapacité à saisir la gravité des situations. La structure politique allemande, ses Länders, sa coalition, son sourcilleux Tribunal constitutionnel peuvent-ils constituer des excuses alors que la crise menace d’emporter l’édifice construit patiemment depuis soixante ans ? À moins que l’Allemagne ne fasse le pari du « sonderweg », le chemin solitaire, escomptant s’en sortir seule. Mais la chancelière semble bien incapable de penser aussi loin.

Jean Quatremer
bruxelles.blogs.liberation.fr

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