Le mépris du peuple

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mépris du peuple

C’est une habitude qui devient très fâcheuse. A chaque protestation populaire, à chaque manifestation, à chaque émeute, une « certaine » élite se réveille, élève la voix pour condamner ces jeunes qui ont sombré dans la violence. Ces jeunes algériens sont caricaturés à outrance. Ils deviennent des délinquants, des voyous, des voleurs vils et « énergumènes » dangereux qu’il faut neutraliser, voire écarter tout bonnement de la « bonne société ». 

Pis, à entendre certaines figures de notre « bien-pensance » nationale, ces jeunes manifestants font honte au combat démocratique et collaborent avec le  régime pour le faire capoter.

Le fantasme du complot prend le dessus sur le bon sens et le mépris envers ces masses populaires qui recourent à la violence pour dénoncer une autre violence, celle-là encore plus terriblement, à savoir la violence sociale à laquelle ils sont soumise au quotidien. Naturellement, nos élites embourgeoisées, enrichies et jouissant d’un train de vie confortable, ne subissent pas cette violence sociale qui condamne à la précarité des millions d’Algériens. Nos intellectuels de Sidi Yahia, des bars chics d’Alger-centre ou des terrasses de la Grande Poste ne sont pas des enfants de femmes veuves, de personnes handicapées, d’ouvriers licenciés suite au bradage de l’outil de production nationale, de soldats estropiés et rejetés des rangs de l’armée nationale après avoir été utilisés comme de la chair à canon sur le front de la lutte anti-terroriste.

Nos bien-pensants qui condamnent l’acte, mais ne réfléchissent pas sur ses origines, n’ont pas connu la vie dans un bidonville dépourvu de toutes les commodités de la modernité. Ils n’ont pas grandi dans une famille en proie à la promiscuité en raison de la pauvreté extrême qui frappe des millions de foyers Algériens.

Aucune société ne peut tolérer la violence illégale généralisée indifférenciée sauf à sombrer dans le chaos et la guerre civile autodestructrice. Les casseurs ou délinquants qui ont été propulsés au devant de la scène à Béjaïa lors des manifestations contre la Loi de finances 2017 ne sont certainement pas « excusables » et leurs actes ne seront jamais « défendables ».

Mais l’honnêteté intellectuelle exige que l’on dépasse les émotions pour réfléchir objectivement sur ces violences. D’où viennent ces casseurs ? Qui sont-ils ? Quelle leur relation avec cette violence faite à ceux qui se sentent socialement exclus ou victimes d’une injustice persistante dans notre pays ? Ces questions, personne n’a osé les formuler, les poser ou les balancer à la figure de nos dirigeants qui crient au « complot ».

Oui, au risque de choquer les âmes figées dans la pensée unique, ces « casseurs » sont des Algériens comme nous tous. Ils ont grandi dans ce même pays où matin et soir, ils croisent des barrages de sécurité tenus par des hommes armés de Kalachnikov. Quand ils vont demander un emploi, ils rencontrent toujours des hommes armés au pied des institutions ou entreprises nationales. Quand ils veulent se promener ou sortir, ils rencontrent toujours des hommes armés.

Quand ils veulent fuir le pays, ils sont toujours et encore attrapés par des hommes armés. Ces casseurs sont de jeunes compatriotes conditionnés par la violence « institutionnelle » et « légitime » qu’exerce notre Etat depuis des décennies. Ces jeunes constituent une partie de notre peuple. Ce peuple que tout le monde évoque, mais à qui personne ne parle.

Réfléchissons juste un peu sur les inégalités qui minent notre pays. Réfléchissons juste un peu sur ces privilégiés qui assemblent des fortunes alors que le salaire moyen de la majorité écrasante des Algériens ne dépasse même pas les 35 mille DA. De quoi à peine se nourrir pour ne pas mourir faim.

Pendant 15 ans, nos dirigeants n’ont bâti aucune économie fiable. La frustration de millions de chômeurs a été absorbée par des transferts sociaux mal-gérés, des dispositifs à l’aide d’emploi mal-orientés. L’objectif était de créer une paix sociale à deux vitesses : maintenir les pauvres dans la pauvreté et les richesses dans l’aisance continue et accélérée. Quel en a été le résultat ?

Des couches entières de notre société qui se nourrissent uniquement de pain et de lait subventionné et qui attendent un logement social avec une impatience délirante. Et à un moment donné, l’impatience cède la place au passage à la violence. Mélanger les choux et les carottes, les révoltés et les apprentis sorciers, c’est un must de la pensée caoutchouc et de l’intelligentsia fatiguée.

L’immense majorité des jeunes qui manifestent contre la Loi de finances 2017 ne sont pas violents, mais il est clair que ceux qui saccagent, agressent indifféremment les policiers ou les jeunes manifestants pacifiques tentent de survivre dans d’autres conditions et d’autres désespérances que celles de ces derniers. Leur éducation a été sacrifiée.

Quelle puissance leur reste-il à exprimer en l’absence de guerre contre un ennemi désigné comme commun, à savoir le régime social qui les oppresse ? Du foot  à l’autodestruction par la drogue ou l’extrémisme religieux . Tout devient bon à prendre. Et aucune répression n’y changera quoi que ce soit. Il seront simplement instrumentalisés en boucs émissaires de la violence sociale de notre pays.

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