Les réserves de change diminuent, l’Algérie vit au dessus de ses moyens Par Hassan Haddouche

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    Le Gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Laksaci n’a pas l’habitude de faire des rapports sur la situation trimestrielle de la balance des paiements. En temps normal, il aurait attendu la rentrée de septembre prochain pour commenter de façon classique la conjoncture monétaire et financière de l’Algérie au premier semestre 2013. Seulement voila, on n’est pas dans une situation normale. Le début de l’année en cours pourrait bien en effet avoir constitué un tournant historique. Il y a en effet ce que M.Laksaci nous dit et ce qu’il ne nous dit pas ou qu’il hésite encore à dire.

    En ce début de mois de juin, le Gouverneur Banque d’Algérie cherche clairement à prendre date et à délivrer un avertissement. « L’économie algérienne est face à un choc externe similaire à celui de 2009 qui est aggravé par une baisse substantielle du solde de sa balance des paiements sur fond d’un recul de ses revenus pétroliers ». La baisse des prix du brut conjuguée à une réduction encore plus marquée des quantités exportées ont  réduit les recettes d’hydrocarbures de l’Algérie de  plus de 3 mds de dollars rien que pour le 1er trimestre 2013. Elle se produit alors que les importations ont poursuivi leur tendance à la hausse . La mise en garde du gouverneur de la Banque d’Algérie est claire. Elle est exprimée dans des termes d’une brutalité inhabituelle : « Cette situation n’est pas soutenable et elle représente un risque de forte vulnérabilité pour la balance des paiements ». Voilà pour ce qu’il dit et qui n’est déjà pas anodin.

    Les réserves de change ont commencé à diminuer…

    Il y a aussi ce que M.Laksaci ne dit pas. En particulier que les réserves de change de l’Algérie ont diminué de plus d’1 milliard de dollars entre la fin 2012 et mars 2013. Il s’agit d’un événement, que bien peu de commentateurs ont souligné,  parce que c’est la première fois que cela se produit en  plus d’une décennie. Depuis le début des années 2000, on s’était habitué à ce que chaque semestre apporte sa bonne nouvelle en matière d’augmentation des réserves de change du pays. Elles étaient même appelées, selon certains analystes internationaux,  à dépasser 200 milliards de dollars dés 2012 voire 300 milliards de dollars vers 2020….

    Fin 2012, on avait déjà enregistré une première alerte, avec un tassement des réserves un peu au dessus de 190 milliards de dollars. Le tournant pris depuis le début de 2013 pourrait bien être historique. Plus qu’une déception conjoncturelle, la mise en garde du gouverneur de la Banque  d’Algérie masque surtout en effet des tendances inquiétantes. Depuis l’année dernière, on est sans doute déjà entré dans un processus de tassement de nos réserves de change qui pourrait, selon beaucoup d’experts, précéder leur réduction voire leur disparition complète dans un horizon à peine supérieur à une décennie. Dans l’espace de cette chronique nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises le travail en tous points remarquables publié au début de l’année par les experts du groupe NABNI. Il  évoque le scénario de réserves de change de notre pays qui « commencerons à baisser à partir de 2016 et risquent de s’épuiser autours de 2024, ce qui à partir de cette date nous obligera à nous endetter pour financer nos déficits commerciaux ». Un scénario qui malheureusement  semble devoir se réaliser plus tôt que prévu. C’est d’ailleurs ce que nous confirmait  M .Ahmed Benbitour, que nous avons rencontré voici quelques jours, qui sait de quoi il parle, et qui considère que les prévisions de Nabni sont optimistes et qu’elles pourraient se réaliser dès 2020…

    Une économie qui vit au dessus de ses moyens

    Pour comprendre ce qui se passe et les enjeux du débat actuel au sein même des cercles dirigeants algériens, il faut rappeler tout d’abord que l’Algérie a encore exporté pour près de 17,5 milliards de dollars au cours des 3 premiers mois de l’année avec un cours du baril qui s’est situé, quand même, au niveau encore substantiel de 109 dollars. Ce qui permet d’espérer des recettes d’environ 70 milliards de dollars sur l’ensemble de l’année en cours .

    Le problème c’est que même ces niveaux de recettes considérables et ces cours du pétrole record ne suffisent plus à satisfaire la boulimie d’importation de l’économie algérienne. En 2012, les réserves de change ont quasiment stagné parce que nous avons battu des records d’importation avec  plus 48 milliards de dollars de marchandises et de 11 milliards de services. En 2013, les réserves ont commencé à baisser parce qu’on est en route vers des importations de marchandises qui vont crever le plafond des 50 milliards de dollars. Pour réaliser ces niveaux d’importation, l’Algérie doit donc non seulement utiliser ses ressources courantes mais également commencer à puiser dans les économies qu’elle a réalisées  au cours de la décennie écoulée !

    Vers un  virage économique ?

    C’est probablement la prise de conscience toute récente de cette menace par le gouvernement algérien qui pourrait être dans l’avenir à l’origine d’un virage économique important marqué par le retours à une plus grande rigueur financière. Le gouverneur de la Banque d’Algérie n’est en effet pas le seul à tirer la sonnette d’alarme. Une série de déclarations récentes du ministre des finances, M. Karim Djoudi, semblent indiquer que le gouvernement algérien tente de préparer le terrain pour un retours à plus de rigueur  dans la gestion des excédents financiers.

    Pour la première fois depuis plusieurs années, le premier argentier du pays a évoqué jeudi 9 mai, l’hypothèse d’une baisse possible des recettes pétrolières .

    Une perspective qui doit selon lui se  traduire « par une prudence plus grande  en matière de conduite de la politique budgétaire ».

    Le projet d’augmentation prévue  de l’allocation touristique , une mesure dont le coût annuel  est estimée à environ 2 milliard  de dollars, a été sans doute la première victime collatérale de ce nouveau contexte financier et psychologique au sein de l’exécutif algérien. Karim Djoudi a déclaré, fin avril, qu’elle n’est plus à l’ordre du jour. Un première décision  qui pourrait en annoncé d’autres .

    Pour l’instant, les débats qui agitent les cercles économiques dirigeants restent fortement tributaire du contexte politique. L’éloignement de la perspective d’un nouveau mandat du Président Bouteflika en 2014 pourrait ne pas être étranger à la remise en cause des largesses financières généralement associées à cette échéance politique. En même temps l’agitation sociale, notamment dans le sud du pays inquiète fortement les dirigeants algériens. La loi de finances complémentaire pour 2013, en préparation, portera  fortement l’empreinte de ces  sollicitations contradictoires.  Affaire à suivre…

    Hassan Haddouche

     

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