Quand l’éducation va, tout va Par Aziz Benyahia

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Lorsqu’on demande à nos étudiants quelles sont les raisons de notre retard dans les domaines de l’éducation et en particulier dans ceux de la recherche médicale, la robotique, ou la nanotechnologie, on tombe invariablement sur les mêmes réponses. Ils accusent notre appartenance, soit au monde arabe soit au monde musulman soit aux deux à la fois. Une condamnation sans appel et avec un aplomb désarmant. Autrement dit, ils sont tellement convaincus de la justesse de leur analyse qu’ils considèrent que les arabes et les musulmans sont condamnés à la traîne des autres nations, à cause d’une  tare rédhibitoire.

En réalité, l’enseignement qu’ils ont reçu et le désert culturel dans lequel ils ont grandi, ont peu contribué – et c’est peu dire – à les rendre fiers d’une civilisation qui a connu ses heures de gloire. Les moins ignorants d’entre eux ne cachent pas leur lassitude devant l’inévitable retour au passé andalou et à l’âge d’or de la civilisation arabe, toutes les fois qu’on les interroge sur les raisons de la stagnation du monde arabo-musulman. Alors, ils ressortent les clichés éculés des arabes passéistes, rêveurs et  nostalgiques, sur fond de ruines d’une civilisation qui a fait son temps.

En évoquant le manque de culture de beaucoup d’entre eux, c’est plus pour les plaindre que pour les accabler, tant ils sont ballotés depuis des  générations, entre des choix d’enseignement sans aucune cohérence et sans les moyens humains et matériels qui auraient pu leur faciliter l’accès au progrès. Comme chez tous les jeunes, la soif d’apprendre est intacte mais, faute d’un enseignement de qualité et garanti sur le long terme, ils se raccrochent au monde virtuel d’Internet et à l’accumulation désordonnée de bribes de savoir. Moyennant quoi ils cèdent à la facilité de l’approche binaire et réductrice, plus préoccupés par les difficultés de la vie quotidienne et l’absence de visibilité pour leur avenir que par les élucubrations relatives à une civilisation qui leur demeure pour ainsi dire, étrangère.

Se pose alors la question de la référence à deux univers différents : l’appartenance arabe et l’identité islamique, constitutives toutes les deux de la civilisation arabe et historiquement indissociables. C’est en obéissant aux injonctions coraniques (le premier verset révélé commence par « iqra’ » qui signifie « lis », à la forme impérative) et aux nombreux versets et hadiths qui glorifient le savoir et la connaissance ; que les Arabes ont donné au monde une civilisation qui a commencé de briller dès le VIIème siècle. Il suffit, pour avoir une idée globale de l’immensité de cette contribution, de se référer aux ouvrages qui traitent de l’apport décisif des arabes à la civilisation universelle durant ce que les historiens appellent l’âge d’or islamique et qui a duré du VIIème au XIIIème siècle. C’est grâce à leur travail de traduction que le monde a pu accéder aux civilisations grecque et indienne notamment. Les travaux de leurs savants ont été déterminants dans des domaines aussi variés que l’astronomie, l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie, la médecine, la botanique, l’agriculture, la zoologie, l’optique, la physique, la chimie, la géographie. Leurs découvertes traversèrent les frontières et, c’est durant cette longue période dite andalouse, animée par des savants de différentes origines et de différentes confessions, que l’histoire retiendra la plus belle image de la coexistence entre les hommes de cultures et de religions différentes.

L’Inde, la Perse, l’Asie et l’Afrique donnèrent à l’humanité un grand nombre de savants, de philosophes et de chercheurs éminents qui partageaient la même foi et dont le point commun n’était pas la langue mais bien la religion. C’étaient des musulmans qui étaient animés par cette soif d’apprendre portée au niveau quasi canonique et dont Le Prophète (Asws), n’avait cessé de rappeler la sacralité. Il suffit de méditer le fameux hadith « L’encre du savant est plus sacrée que le sang des martyrs », pour mesurer la profondeur du message et la primauté accordée au savoir et à la connaissance.

C’est donc l’islam qui apparaît comme l’élément mobilisateur et le point de ralliement de ceux parmi les hommes et les femmes  qui ont décidé de consacrer leur intelligence et leurs efforts à faire progresser la science. Ce sont les Califes successifs, puissances musulmanes tutélaires qui ont perpétué durant plusieurs générations, une tradition d’ouverture et d’accueil au service de tout ce qui pouvait participer au progrès de la connaissance et du savoir. Les chercheurs et savants pluridisciplinaires, venus du monde entier pouvaient partager leurs expériences et confronter leurs recherches dans ce qui fut appelé « Dar El Hikma » (maison de la sagesse) ; entendue comme lieu d’expression du savoir.

La première fut ouverte à Bagdad à la fin du  VIIIème siècle. Les historiens l’ont décrite comme une véritable ruche humaine dans laquelle fleurissaient les arts, les sciences, la philosophie, la littérature, la poésie…dans plusieurs langues et où surtout, étaient encouragés les débats publics dans une liberté d’expression totale. Bagdad fut suivie par d’autres maisons de la sagesse en Irak puis plus tard en Egypte, en Andalousie et à Fès. Les plus grandes bibliothèques du monde étaient situées à Bagdad et à Cordoue, au moment où l’Europe somnolait dans son Moyen-Âge.

Dans cette quête du savoir, l’islam était l’élément fédérateur et l’aiguillon. « Chercher le savoir fut-ce en Chine », demandait le Prophète (Asws). Suivre le Coran et la Sunna, cela signifiait en conséquence, s’ouvrir aux autres et consacrer sa vie à la recherche du progrès.

 

Est-ce à dire que le monde arabo-musulman a cessé de progresser dès qu’il s’est éloigné de la religion authentique?

S’il est difficile de répondre à cette question, tant sont nombreuses les causes historiques et particulières à chaque époque et à chaque pays, on peut affirmer en revanche que l’islam n’a jamais été un frein au progrès, contrairement aux jugements simplistes que l’on entend souvent ; bien au contraire.

Plus prosaïquement, si on prend comme critères pertinents, les sciences exactes dans leur globalité, pour juger du niveau du progrès de la connaissance, on peut citer de nombreux exemples de scientifiques musulmans d’Irak, d’Egypte, d’Iran ou du Pakistan qui ont acquis une renommée mondiale dans différents domaines, sans pour autant être handicapés par leur croyance religieuse. Les scientifiques pakistanais,  qui ont mis au point la bombe atomique, sont tous des musulmans pratiquants. Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres pour dire qu’il est aberrant de penser que l’islam aurait pu constituer un frein au progrès. On pourrait citer les atomistes irakiens qui ont tous été exterminés par les services secrets israéliens. Aucun argument n’est recevable en la matière ; ni celui de la langue ni celui de la religion.

Les seules raisons qui expliqueraient le retard de certaines nations islamiques par rapport à d’autres, ce sont des motifs d’ordre culturel, politique et économique ; autant dire un problème de choix de société et de gouvernance.

Pour autant que ces critères soient pris en compte, il n’y a aucune raison pour que notre pays continue à accumuler autant de retards dans de nombreux domaines qui le mettent dans un état de dépendance totale de l’Etranger.

Pour ce qui concerne l’Algérie, l’échec se situe à deux niveaux :

 

Au  niveau national. Les responsables du secteur le reconnaissent eux-mêmes. La qualité de l’éducation est d’un niveau bas et archaïque. L’arabisation est un échec patent. L’ouverture aux langues véhiculaires telles que le Français, l’Anglais et l’Espagnol est insignifiante. Le désastre est complet sur toute la ligne, y compris hélas en matière de formation des élites. Un seul exemple : A la rentrée scolaire de 2014, en première année de classe préparatoire à Polytechnique Alger, les élèves se sont mis en grève pace que…les professeurs de matières scientifiques parlaient à peine un français incompréhensible. Ils ne maîtrisaient, ni le français, ni l’arabe. Comment veut-on que dans ces conditions le pays dispose d’élites pour rattraper le retard, gérer, former et anticiper? Il ne s’agit pas de conjecturer sur la responsabilité de tel ou tel personnage politique, mais bien de pointer l’absence de motivation des gouvernements successifs, et les mauvaises voies empruntées en matière d’éducation nationale.

 

Au niveau régional. En 1962, au lendemain de l’indépendance, l’Algérie était en avance sur ses deux voisins immédiats : le Maroc et la Tunisie, malgré un taux d’alphabétisation très bas et la discrimination coloniale. Cinquante ans plus tard, l’Algérie est nettement en retard sur ces mêmes voisins, malgré un discours politique séduisant et des moyens financiers considérables. Il faut savoir que le niveau de développement d’une nation est déterminé par la qualité de l’éducation plus que par l’alphabétisation de masse, par le niveau de ses élites et des corps intermédiaires, que par le niveau basique des foules. La Tunisie exporte ses cadres dans le monde entier et les Algériens s’y rendent en masse pour les soins dentaires. Le Maroc exporte ses produits agricoles et joue dans la cour des Grands dans le domaine bancaire, des travaux d’infrastructure ou des énergies renouvelables. Par ailleurs, les deux pays ont pris beaucoup de longueurs d’avance dans l’enseignement multilingue, alors que l’Algérie n’a pas trouvé mieux à inventer que de mettre fin à l’enseignement bilingue arabe-français de qualité, dispensé dans les « lycées d’enseignement franco-musulman », durant la …colonisation.

Il faut avoir le courage de reconnaître ses erreurs et d’assumer ses mauvais choix ou son absence de vision. Si l’état des lieux est désastreux, c’est à cause de l’incompétence des dirigeants politiques.

Quand l’éducation va, tout va. Et quand elle est déficiente elle engendre inévitablement le délabrement de la situation économique et culturelle, et des bouleversements sociaux aux conséquences imprévisibles. La responsabilité dans ce domaine étant collective, il faudra être intransigeant avec les responsables politiques, car c’est de leurs choix que dépendent le sens qu’on veut donner à la vie et  l’avenir de nos enfants.

Aziz Benyahia

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