Décryptage. Développement économique/Ce que l’Algérie doit apprendre de…l’Ethiopie

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Après la Pologne et le Vietnam, nous continuons notre série d’articles sur ces intrigantes nations qui réussissent depuis quelques années leur passage d’une économie socialiste à un système capitaliste efficace. Les deux modèles précédents avaient des similitudes, et malgré un sursaut d’inégalités la croissance est au rendez-vous, avec notamment l’émergence soudaine d’une caste ambitieuse d’entrepreneurs dans chacun de ses pays.

Nous avions souligné pour le cas polonais l’importance de la jeunesse et de l’éducation dans cette transition économique, facteur clé pour assurer à une nation la créativité nécessaire à ses ambitions. Avec le modèle vietnamien nous nous étions démarqués d’une approche structurante classique, en cherchant à comprendre le changement culturel et cognitif qui s’était opéré par lui-même, sans compter l’impact d’institutions politiques sur les rapports économiques, chez certaines franges de la population vietnamienne. En pensant à l’Algérie, nous avions donc mis en avant l’importance qu’aura la diaspora dans l’évolution des mentalités algériennes. Que peut donc nous apporter l’exemple éthiopien ?

Dans les petits cercles prisés des économistes, on aime bien les noms d’animaux, on apprécie les jolies images, les « nouveaux pays exportateurs » d’Asie étaient des « tigres », les « nouveaux pays industrialisés » des « dragons », et on parle depuis quelques années de l’Ethiopie comme du nouveau « lion africain », avec un taux de création de millionnaires qui dépasserait toute concurrence lors de la dernière décennie.

Une libéralisation encadrée par l’Etat

Encore une fois, à l’encontre des idées qui voudraient que la croissance s’accompagne d’un Etat en retrait et d’une économie pleinement libéralisée, l’Ethiopie a suivi le chemin de pays comme la Corée du Sud ou la Chine, avec un gouvernement très impliqué dans la gestion des affaires économiques de la nation. Non pas que le secteur privé ait peu d’importance, loin s’en faut, mais la croissance de ce secteur est encadrée et régulée par la puissance publique : le privé s’est développé dans la gestion des infrastructures, dans l’éducation, la santé, les services, etc. Mais en empruntant à des banques étatiques et en gérant efficacement les aides au développement provenant de puissances économiques occidentales.

Ici encore, on ne saurait nier l’importance de la diaspora éthiopienne dans le boom économique du pays. Islma’Il KushKush, dans un article du NYT de mars 2015, montre que l’investissement privé, celui de la diaspora mais aussi celui de pays tels que la Chine, l’Inde, la Turquie, la Suède et la Grande-Bretagne, « attiré par le faible coût du travail », a grandement contribué à la croissance, notamment dans l’industrie du textile et du cuir.

Dans cette perspective, David Smith, le correspondant Afrique du Guardian, montre que l’Ethiopie se distingue des autres économies africaines florissantes par un succès qui s’explique moins par l’exportation de ressources minières que par la diversification économique et le développement de son agriculture, de son industrie manufacturière, et de ses transports.

Une gestation étatique autoritaire

Le portrait de l’économie éthiopienne est, cependant, loin d’être idéal. Sur le plan politique et social, le développement économique du pays semble s’être fait aux dépens d’un développement démocratique, et l’opposition politique est quasiment absente du débat public. La gestion étatique des projets y est autoritaire, dictatoriale. Des citoyens éthiopiens sont régulièrement évincés de leurs terres et de leurs propriétés par des « projets de développement », et, d’après Felix Horne, un chercheur pour l’association « Human Rights Watch », dont les propos sont cités dans l’article du NYT, « il n’y a quasiment pas de consultation ou de compensation offerte pour la perte des terres ».

La question morale se pose dés lors, avec ce cas d’école : malgré la croissance économique au rendez-vous, l’oppression de l’Etat est bien présente, et une grande majorité des éthiopiens n’ont pas accès aux fruits de cette expansion. La richesse augmente, mais les pauvres aussi. Tout le problème se situe, comme toujours, dans le partage du gâteau, dans un pays où les parts de ce gâteau sont volées à leurs propriétaires, même si on pourra dire en aval que ce vol a permis l’augmentation globale de la taille du gâteau. Mais tout cela est-il bien légitime ? Tout cela est-il bien moral ? Sans même parler des prisonniers politiques, de la torture, des arrestations arbitraires, et de tout un tas de d’actions totalitaires qui permettent à l’Etat de transférer des bouts de terres du peuple vers des entreprises étrangères. Les rapports d’Amnesty International sur le sujet son effrayants.

Une croissance aux dépens du peuple éthiopien?

Le multipartisme de l’Etat n’en a que le nom, dans un système au sein duquel l’opposition au gouvernement est bâillonnée. De plus, comme évoqué plus tôt, moult indicateurs économiques utilisés pour définir la qualité de la politique actuelle ne révèlent qu’une infime partie de la situation actuelle. Utiliser le nombre de « millionnaires » d’un pays pour évaluer l’efficacité de son système économique est-il vraiment sérieux ?

Andrew Amoils, analyste au « New World Wealth », dans un article du Guardian, explique qu’un certain nombre de pays africains, à l’instar de l’Ethiopie mais aussi de l’Angola, ont une croissance phénoménale de millionnaires depuis 10 ans mais la richesse qui émane de ces économies ne se disperse pas dans les mains des plus pauvres et des classes moyennes de ces pays-là, dont la croissance est bien plus limité que celle de ces petites castes enrichies. Quand on sait que l’Ethiopie est classée à 173ème place (sur 187 nations) de l’Index du Développement Humain, on se dit que le taux de millionnaires d’un pays n’est pas forcément le meilleur des indicateurs pour évaluer le niveau d’un développement d’une nation.

Le boom économique récent de l’Ethiopie est donc intéressant sur de nombreux points. Il révèle des pistes que l’on sait évidentes pour l’économie algérienne : diversification nécessaire, développement de l’agriculture, de l’industrie manufacturière, des services etc. Il montre aussi, comme nombre d’exemples asiatiques, que la libéralisation et l’ouverture au privé ne passent pas forcément pas moins d’Etat. Le gouvernement doit être présent pour encadrer et réguler le secteur privé, et les possibilités de financement public doivent être à portée de ces entreprises.

En revanche, la situation démocratique et sociale est inquiétante au sein de cette société africaine, et on se demande si la croissance économique actuelle bénéficie véritablement aux populations locales, et pas seulement à une petite caste de petits privilégiés locaux. La question du totalitarisme économique est tout aussi prégnante, tant l’économie éthiopienne, comme tant d’autres pays africains et asiatiques, s’est développée dans un contexte fort peu démocratique, et dans une situation humanitaire qui laisse rêveur. Dans cette perspective, on espère, bien naïvement, que la transition nécessaire de l’économie algérienne se fera dans des termes plus démocratiques, et dans une vision à long-terme qui mettra les clés de son développement entre les mains du peuple.

Tarek S.W.

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