Le Français ou l’Anglais ? Les deux mon colonel Par Aziz Benyahia

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    La question renvoie aux retombées collatérales inévitables suite au débat sur l’enseignement en Algérie. Elle est légitime mais elle ne doit pas occulter l’essentiel ; à savoir maîtriser d’abord la langue vernaculaire (l’arabe) si on veut tirer le meilleur profit des langues véhiculaires (le français, l’anglais, l’espagnol etc…). Ne pas mettre la charrue avant les bœufs en quelque sorte et se rappeler que l’éducation détermine notre existence et notre indépendance en tant que nation.

    Par ailleurs, rien ne sert de revenir sur le retard accumulé depuis l’indépendance ni sur les lacunes abyssales impossibles à combler. Tous les acteurs de la vie politique en sont responsables à quelque niveau que ce soit et dans l’état actuel des choses, il est inutile de tirer  sur une ambulance. Le mal est fait. Regardons plutôt vers l’avenir.

    Mais avant cela, il faut remettre les pendules à l’heure car on a trop tendance, par ignorance ou par mauvaise foi, à passer par pertes et profit ou à carrément l’occulter, l’apport d’une grande civilisation trop vite renvoyée aux vieux démons coloniaux ou à l’arrogante et inutile richesse des pays  de la Péninsule Arabique, quand ce n’est pas tout simplement aux Salafistes ou aux plus rétrogrades des régimes des pays arabo-musulmans.

    L’apport de la civilisation arabe à l’humanité a été déterminant entre le VIIIème et le XVème siècle. C’est grâce aux Arabes que l’Occident découvre la civilisation grecque et notamment ses philosophes. C’est grâce à eux que l’humanité fait des progrès considérables aussi bien dans les domaines de la pensée que dans celui des sciences exactes, de l’astronomie et de la médecine. On leur doit la découverte de l’algèbre et des avancées définitives dans les mathématiques, la chimie, la recherche médicale et la géographie. Bagdad, Damas, Cordoue, Le Caire ont été les principaux centres mondiaux de développement du savoir. Si les arabes sont arrivés à un tel niveau de développement entre le VIIIème et le XVème siècle c’est d’une part, parce que l’islam prône l’acquisition du savoir (plus de 700 versets y sont consacrés) – «  Cherchez la science depuis le berceau jusqu’à la tombe…serait-ce jusqu’en Chine » ( hadith ) – et d’autre part, grâce à l’apport des arabes chrétiens, des juifs en Andalousie et des savants d’Inde et d’Asie Centrale.

    On dissertera encore longtemps sur les raisons du déclin de la civilisation arabe, même si les historiens le mettent sur le compte de la fameuse courbe des civilisations (naissance, croissance, apogée et déclin)  condamnées à atteindre des sommets puis à péricliter à l’image de l’Egypte des pharaons, des civilisations amérindiennes ou de l’Empire Ottoman. De notoriété universelle, l’arabe fait partie des langues les plus belles et les plus riches et le déclin de la civilisation arabe est dû en grande partie aux arabes eux-mêmes plus qu’à des raisons exogènes ou accidentelles.

    En Algérie, non seulement nous n’avons pas su maîtriser nos fondamentaux ; non seulement nous avons choisi la plus lamentable façon de conquérir ou de reconquérir cette langue, mais nous avons laissé filer, par la faute de responsables irresponsables, un patrimoine inestimable, que Kateb Yacine avait qualifié de façon lumineuse de « butin de guerre », et que tous les pays francophones nous enviaient. Nous étions le deuxième pays francophone après la France et cela aurait du représenter pour nous un atout considérable, si nos dirigeants avaient eu l’intelligence de regarder plus loin que leurs nombrils. Nous serions aujourd’hui le passage obligé pour accéder au monde arabe, un partenaire incontournable pour l’Occident et pourquoi pas,  un prescripteur écouté dans les relations entre les pays francophones. Ce rôle longtemps tenu par le Liban par tradition, puis accessoirement par la Tunisie grâce à la qualité de leur enseignement bilingue arabe-français, nous a complètement échappé et il faudra quelques générations et une véritable volonté politique pour reprendre l’initiative sur ce terrain.

    Aussi bien la question du choix du français ne se pose pas. Elle va de soi. Ceux qui en doutent sont tout simplement des réactionnaires et des conservateurs au sens rétrograde du terme.

    Pour ce qi concerne l’apprentissage de l’Anglais, la réflexion doit porter sur la meilleure approche pédagogique possible pour rattraper le retard, mais aussi sur l’ouverture vers l’Extérieur ; condition indispensable pour le recours aux langues véhiculaires telles que l’anglais et l’espagnol. Sans cette ouverture on continuerait encore à vivre dans une espèce d’inceste culturel qui enfante périodiquement des monstres et qui nous laissera toujours à la traine.

    Il s’agit donc de remettre de l’ordre dans l’enseignement de l’arabe ; de le dépoussiérer, de le dépolluer et de lui redonner ses lettres de noblesse aux côtés de langues véhiculaires étrangères et principalement le français et l’anglais. Sans remords, sans complexe, sans rancune et surtout sans ce sempiternel retour vers le passé andalou que les conservateurs précisément, s’empressent de nous opposer toutes les fois qu’on pointe leurs échecs ou qu’on essaie de leur expliquer que l’accès à la modernité et au progrès, ce n’est pas d’acheter le dernier téléphone portable mais de l’inventer et de le fabriquer. Mais ça, c’est un autre débat.

    Aziz Benyahia

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