Les années noires du journalisme en Algérie de Brahim Hadj Slimane

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Brahim Hadj Slimane

Ce journal est né d’un désir tout à fait spontané, une sorte de besoin urgent de témoigner», affirme, dès les premières lignes, Brahim Hadj Slimane, dans Les Années noires du journalisme en Algérie, paru aux éditions du Cygne à Paris.

Le journaliste écrivain est resté dans le pays tandis que plusieurs intellectuels et artistes avaient choisi l’exil, parfois à contrecœur, pour fuir un pays en folie. Le bilan de cette époque violente n’a toujours pas été fait. «Aujourd’hui, la violence n’est pas finie. Pas seulement celle du terrorisme politique, mais celle de la vie quotidienne tout court», a-t-il écrit. A partir de son propre vécu, Brahim Hadj Slimane, ou BHS, remonte la machine du temps. «C’est comme une forme première et immédiate du témoignage en s’offrant soi-même en exemple. La période considérée a été, pour moi, multiple. Sur un plan professionnel, du point de vue d’un métier que j’aime toujours, ce fut une relative traversée du désert, la tête pleine de désillusions, comme pour certains confrères talentueux et dignes de respect», a-t-il souligné. Cela commence par un voyage en bus, en mars 1998, entre Oran et Alger. Des militants du Parti socialiste des travailleurs (PST, trotskiste) sont du voyage. BHS rencontre son ami Mohamed Lobo.

Les deux hommes passent la nuit chez Mahmoud, un ami commun, où ils évoquent la situation de La Casbah, quartier livré à la terreur des GIA et à la misère. Ils parlent de Yacine Napoli, le supposé premier chef des GIA dans le vieux quartier algérois. «Un récit qui éveilla toute mon attention, tant il me sembla emblématique de La Casbah et du terrorisme urbain d’Alger», a-t-il noté. L’attentat de la Rue Bouizouina à La Casbah fut l’un des premiers actes violents de l’Algérie post-législatives 1991. Plus tard, le diable ouvrira portes et fenêtres… BHS raconte également l’histoire de Abderrezak Adel, un universitaire de gauche de Constantine, l’un des fondateurs du Conseil national de l’en seignement du supérieur (CNES), syndicat indépendant de l’UGTA, persécuté par le FLN, parti unique, dans les années 1980. Il évoque aussi Mohamed Benelhadj, «une figure de l’opposition algérienne», membre fondateur du MDA d’Ahmed Ben Bella. Mohamed Benelhadj a accompagné Sid Ahmed Ghozali durant la pré-campagne présidentielle de 1999.

«Sid Ahmed n’est pas politique. Il ne sait pas comment fonder une alliance… C’est un anti-intégriste résolu, c’est le Saïd Sadi des Arabes», a-t-il raconté à l’auteur. «C’est un langage creux pour moi», reprend le journaliste. BHS revient aussi sur sa présence au Cannes junior, l’éphémère expérience cinématographique de Timimoun, en 1999. Il se souvient de la rencontre avec la famille Lebgâa, dont la fille Aïcha, est une célébrité nationale. Aïcha Lebgâa, c’est Goumari, la belle voix qui accompagne Gâada Diwan Béchar… BHS découvre qu’Ahmed Taleb Ibrahimi est populaire chez les Zénètes de l’Oasis rouge, «un signe du rejet du pouvoir». Il se rappelle que le maire de Timimoun s’était engagé à l’époque à construire «la maison du cinéma». Une promesse sans lendemain. Le rêve du «Hollywood africain» s’est évaporé dans la chaleur du Gourara ! Et puis la parole est donnée aux «écrivains publics». «J’ai toujours eu un certaine admiration pour ces travailleurs intellectuels qui gagnent modestement leur vie, dans une petite échoppe, ou, carrément dans la rue, en écoutant et en transcrivant la vie (…) J’ai décidé que nous étions des écrivains publics, nous autres journalistes», a-t-il expliqué.

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L’auteur a fait parler les journalistes El Kadi Ihsane, Djemaâ Mazouzi, Ghania Chérif, Rachid Hamdad, Ghania Mouffok et Chahreddine Berriah. Deux de ces reporters sont décédés : Ghania Chérif et Rachid Hamdad. D’une écriture simple et limpide, Les Années noires du journalisme en Algérie se déroule, sur 230 pages, comme un carnet de voyage. C’est un prétexte pour l’auteur de raconter, en fin observateur et avec passion, une époque, celle d’une Algérie sortie, à moitié nue, d’un cauchemar pour retomber dans le rêvé décoloré. «Le journalisme» n’est pas dans le cœur du récit, mais un moyen de dire l’histoire immédiate, une histoire qui file comme du sable brûlant entre les doigts. Au début des années 1980, Brahim Hadj Slimane a fondé et animé la revue littéraire Voix multiples.

Il est l’auteur de l’essai La Création artistique en Algérie et de deux recueils de poèmes, 29 visions dans l’exil et Baghdad, Boumerdès. En 2009, il a réalisé le documentaire La troisième vie de Kateb Yacine. «Après un atelier de formation sur le film documentaire à Béjaïa, il y a deux ans, j’avais projeté de réaliser un documentaire sur l’aventure théâtrale de Kateb Yacine à partir de 1970. A cette époque, il avait été ramené par Ali Zaâmoum pour diriger la troupe de l’Action culturelle des travailleurs pour la production de certaines pièces, dont Mohamed, prends ta valise», nous a-t-il expliqué lors d’une récente rencontre à Oran. Le journaliste, qui est un ancien des cinéclubs d’Oran, prépare un documentaire sur ceux qui avaient choisi de rester en Algérie durant les années de feu, les années 1990.

El Watan
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