Pilotes d’Air Algérie/ Des héros méprisés et contraints à l’exil

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    Colère et dégoût chez les pilotes d’Air Algérie. Ils sont une petite corporation de 385 personnes. Durant la décennie noire, beaucoup d’entre eux ont passé des nuits entières à bord de leurs avions, d’autres se sont réfugiés dans leurs voitures, pour maintenir en vie la compagnie battant pavillon nationale, au moment où le pays était boycotté par presque toutes les compagnies internationales. 

    Durant de longues années, plusieurs d’entre eux ont consenti d’énormes sacrifices pour faire voler des avions et transporter des millions de passager un peu partout dans le monde. Durant des années, ils ont risqué leur vie pour rompre l’isolement qu’imposait le monde entier à une Algérie à feu et à sang. Durant des années, ces pilotes n’ont jamais demandé à se faire payer les heures supplémentaires comme il était d’usage dans les compagnies internationales. En dépit des déficiences de leur assurance maladie, qui ne prend pas en charge plusieurs maladies professionnelles, et de leur retraite plafonnée à un seuil ne dépassant pas le 160 mille DA, l’absence de logements de fonction ainsi que toutes les misères que leur procurent les dysfonctionnements de la direction d’Air Algérie, ces 385 pilotes s’échinent chaque jour à servir des passagers de plus en plus nombreux, de plus en plus exigeants.

    Très mal payés par rapport aux pilotes des autres compagnies

    Mais, aujourd’hui, le malaise est profond. Le sentiment d’injustice se renforce de jour en jour à cause du mépris de la direction de leur compagnie et les idées préconçues de la société. « Dans l’imaginaire collectif, un pilote est choyé, hyper-bien et traité comme un prince. Ce qui est archi-faux ! », se plaint un pilote qui confie sa souffrance.

    « Nous sommes parmi les pilotes les plus mal payés au monde. Et je ne vous parle même pas des compagnies prestigieuses comme Emirates ou la Qatar Airways. Chez nos voisins, le pilote de la Roayal Air Maroc est traité nettement mieux et est considéré à sa juste valeur », explique notre interlocuteur qui a requis l’anonymat. Etre considéré à « sa juste valeur », c’est le seul mot qui revient dans tous les témoignages que nous avons recueillis. L’ingratitude blesse profondément ces pilotes qui ont préféré se battre pour aider leur compagnie nationale à relever la tête. Pourtant, leurs sacrifices sont très méconnus. « A Damas, lorsque toutes les compagnies du monde ont déserté ce pays frère, nous avions assuré des vols pendant quatre mois pour rapatrier les ressortissants algériens qui risquaient de périr dans les violences ravageant ce pays », confie un autre pilote, selon lequel, dans chaque avion en partance pour Damas en 2014, il y avait quatre pilotes. « On ne se reposait pas. Dés qu’on atterrissait, on embarquait nos passagers et on prenait la relève de nos collègues pour repartir au milieu des tirs de missiles », affirme notre interlocuteur.

    La mort, nos pilotes y ont été confrontés à maintes reprises. Et souvent, les autorités politiques n’ont jamais tenté de les secourir lorsqu’ils étaient bloqués dans des pays en proie aux conflits armés. Preuve en est, en septembre 2015, six membres  de l’équipage d’Air Algérie se trouvaient enfermés dans un hôtel à Ouagadougou au Burkina Faso, ébranlé par un violent coup d’Etat. Dépourvu de nourriture, l’équipage de notre compagnie n’avait reçu aucune assistance de la part de l’ambassade d’Algérie. Aucun diplomate algérien n’a daigné se déplacer pour les mettre en sécurité alors, que l’ambassadeur de la Turquie s’était déplacé « personnellement pour accompagner l’évacuation de l’équipage de la Turkish Airlines », dénonce un autre pilote qui a assisté à ce triste épisode où l’indifférence des autorités diplomatiques algériennes a failli causer une véritable tragédie. « Nous avions exercé nous-mêmes des pressions sur notre direction afin qu’elle demande en urgence l’autorisation de s’envoler vers Ouagadougou pour rapatrier nos collègues et pas moins de 144 passagers algériens bloqués dans ce pays. A notre retour au pays, nous avions appris que dans l’hôtel où nos collègues étaient enfermés, des affrontements avaient éclaté faisant au moins 48 morts », révèle la même source encore sous le choc de ces événements.

    36 pilotes ont démissionné en neuf mois 

    En 2012, à Bamako au Mali, lors d’un autre coup d’Etat, un autre équipage d’Air Algérie avait subi presque la même mésaventure. Mépris, ingratitude et indifférence. Cette injustice a fini par causer le départ de plusieurs pilotes algériens très compétents qui ont rejoint des compagnies internationales où le pilote est traité comme un véritable roi. Durant ces derniers neuf mois, 36 pilotes d’Air Algérie ont démissionné et sont partis faire les beaux jours des autres compagnies étrangères comme la Oman Air, Qatar Airways, Easy Jet ou Etihad Airways.

    Dans ces compagnies, ils sont payés plus de l’équivalent de 18 mille euros par mois. La scolarité de leurs enfants est entièrement prise en charge. Ils disposent d’une maison confortable entièrement équipée alors que dans leur pays, ils ne disposaient même pas d’un statut particulier. Ils n’ont même pas de navette qui les amène de leurs domiciles à l’aéroport. Ils doivent assurer leur propre transport ou subir les lenteurs des navettes qui transportent tout le personnel d’Air Algérie. Une fois recruté par ces autres compagnies internationales, ils disposent de leur propre..chauffeur.

    Malgré cela, beaucoup de nos pilotes ont décidé de rester en Algérie, rêvant de redresser un jour leur compagnie pour la hisser au plus haut niveau. Et pour ce faire, ils multiplient les sacrifices.  En 2014, ils ont économisé à Air Algérie l’équivalent de 1,5 million de dollars en carburant. En 2013, les sacrifices des pilotes ont permis à Air Algérie de transporter trois millions passagers et en 2014, ce chiffre a été porté à cinq millions. Les pilotes d’Air Algérie ont volé, en tout et pour tout, pendant plus de 16000 heures de vols. Ces performances ont été réalisées sans que le nombre des pilotes ne bouge d’un iota.  Mais de cela, personne n’en parle…

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