Reportage. Débuts chaotiques pour la navette maritime reliant Alger à la Madrague

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Inaugurée en grande pompe lundi 4 août, la navette maritime reliant Alger à Aïn Benian accueillait aujourd’hui ses premiers passagers. Mais l’idyllique promenade en mer promise aux Algérois s’est vite transformée en galère, faute d’organisation.

Tout avait, pourtant, bien commencé. À côté de la Pêcherie d’Algérie, une petite cinquantaine de personnes attendent, assises à l’ombre d’un chapiteau rayé de bleu et de blanc. Des familles pour la plupart, venues essayer cette navette que l’on attend depuis 10 ans. Tous ont appris la nouvelle de sa mise en service dans la presse, et se sont donc pressés pour venir essayer ce moyen de transport inédit.

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Le Capitan Morgan dans le port d’Alger

« On a entendu la nouvelle et on s’est dit que c’était une bonne idée pour une balade », explique un couple de sexagénaires originaires de la Casbah mais qui vit maintenant à Draria. « On est venu avec notre petit-fils, qui habite à Montréal et qui passe ses vacances en Algérie. C’était l’occasion de lui proposer une sortie en mer, et de lui faire visiter le plus vieux quartier d’Alger », témoigne ce couple.

Le petit garçon en question, casquette vissée sur la tête, explore méticuleusement les environs. Quitte à s’approcher un peu trop près de l’eau argentée du port. Sa grand-mère le rattrape par le bras et lui demande de ne pas trop s’éloigner.

Les trois vacanciers ont fait le trajet La Madrague-Alger tôt ce matin à bord du Capitan Morgan. « C’est très agréable, le bateau est confortable et on a une vue magnifique sur la baie d’Alger », se réjouissent-ils.

Il faut dire que ce couple d’Algérois est familier des sorties en bateau. « On aime beaucoup ce genre de croisière. On a voyagé dans beaucoup de pays, et à chaque fois on essaye de faire une balade de ce type », expliquent-ils. « Pour le moment, ils ont affrété un seul bateau, pour tester, mais je pense que ça va avoir du succès. Les gens préfèrent prendre une navette maritime plutôt que le bus ou un taxi. Il faut juste espérer que la discipline tienne, parce que, pour que le voyage soit agréable, il faut que tout le monde joue le jeu », commente le monsieur.

Longue attente sur le quai de la Pêcherie

Des propos qui résonnent comme une triste prémonition. Les premiers cafouillages se produisent aux alentours de 10h30. Attirés par cette nouvelle possibilité d’escapade, les Algérois arrivent en nombre à La Pêcherie. Devant la cahute où l’on vend les tickets, un attroupement ne tarde pas à se former. En cause, une pénurie de billets.

« C’est ça l’Algérie », explique une dame que la situation semble beaucoup amuser. « La navette a été inaugurée hier seulement, alors aujourd’hui ils ne sont pas encore bien organisés. C’est comme ça ici ! »

Le pauvre guichetier, dépassé par le succès de son entreprise, tente tant bien que mal de justifier qu’il n’a plus de billets. « Il faut patienter, on en aura des nouveaux dans environ 35 minutes », détaille-t-il à une foule de plus en plus nerveuse. Rien ne sert pourtant de tempêter, le prochain bateau ne part qu’à midi, explique le guichetier pour se dépêtrer d’une situation tendue.

Théoriquement, le Capitan Morgan devait accoster à la Pêcherie à 10h30, pour repartir en direction d’Aïn Benian à 11h. Comment expliquer ce retard de près d’une heure ? La réponse nous sera donnée un peu plus tard, sans qu’il soit nécessaire d’interroger l’un des membres d’équipage.

En attendant, les futurs passagers s’occupent comme ils peuvent. Les enfants courent à droite à gauche et jouent à se faire peur. Les adultes discutent en surveillant leur progéniture du coin de l’œil. Un vendeur ambulant passe au milieu de la foule pour proposer du thé et des cacahuètes. La bise marine atténue la chaleur étouffante qui écrase Alger. Sur le quai, les filets de pêche sèchent au soleil, empestant l’air d’une entêtante odeur de poisson et d’iode. L’ambiance est agréable, personne ne semble vraiment gêné du retard de la navette.

Nourredine, venu avec le cadet de ses 4 enfants, attend patiemment sur le quai. Béret basque rapporté de Marseille, barbe poivre et sel, ce retraité de la Poste consacre ses loisirs à la peinture. « J’ai pris mon appareil pour faire des photos », explique-t-il en sortant l’objet, un petit appareil numérique noir qui ne paie pas de mine. « C’est ma façon de travailler : je prends des photos, et je m’en inspire pour mes peintures ». Nourredine, qui habite Aïn Benian -mais préfère utiliser l’ancien nom de la ville, Guyotville-, est ravi de l’initiative de la wilaya d’Alger. « C’est pratique cette navette, et en plus c’est une distraction. Certes, on paye 20 DA de plus que pour le bus [un trajet en navette coûte 50 DA, ndlr], mais il n’y pas d’embouteillages, et on a le panorama en plus. Moi, j’ai toujours rêvé de naviguer dans la baie d’Alger, il y a une vue magnifique sur la ville depuis la mer ».

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Arrivée de la navette à la Pêcherie d’Alger

13h : arrivée de la navette, la situation dégénère

Enfin, un peu avant 13h, la navette apparaît à l’entrée du port. Les enfants sont les premiers à l’apercevoir, ils tirent sur les vêtements de leurs parents pour leur montrer le petit point blanc tant attendu. La foule se presse vers le bord du quai, applaudissant et sifflant. Le Capitan Morgan se rapproche rapidement. Les enfants sont tous excités, les parents presque autant. La navette bat pavillon algérien. L’équipage se tient prêt pour l’accostage. Vêtus d’un uniforme blanc, les matelots ont fière allure. Pourtant, quelques dizaines de minutes seulement nous séparent du chaos.

Dès les amarres solidement attachées au quai, un mouvement de foule se dessine. Les passagers qui descendent du bateau peinent à se frayer un chemin à travers la foule qui bloque le quai. Il faut une grosse demi-heure pour vider le Capitan Morgan de tous ses occupants. Et ce ne sont que les prémisses du drame. L’embarquement signe le début de la fin. La passerelle est étroite, la foule nombreuse, et le service d’ordre insuffisant. Une équation explosive qui donne naissance à une bousculade monstre. Chacun pousse, tire, s’agrippe à des barrières, des sacs ou des cheveux pour ne pas se faire entrainer loin du point de passage. Les petits sont écrasés par les plus grands, les enfants hurlent. La loi du plus fort règne. Les rares personnes qui parviennent à accéder au bateau reprennent difficilement leurs esprits. Sur le pont, un petit garçon paniqué pleure parce que sa mère est restée sur le quai.

Le commandant de bord semble insensible au mouvement de panique naissant. Lunettes de soleil sur le nez, un léger sourire au bord des lèvres, il se contente de donner quelques instructions dans un microphone grésillant.

Après 45 minutes de féroce mêlée, le verdict tombe : la navette est complète. Étonnante annonce lorsque l’on sait que le bateau contient 344 places. « Il y avait de la place pour tout le monde, c’est scandaleux », s’indigne un jeune homme resté à quai.

Remboursés mais dégoûtés

« On pensait que c’était une bonne initiative, mais en fait c’est un scandale. On est dégoûtés », s’exclame le couple de sexagénaires cité ci-dessus. « On va rentrer en bus à la Madrague, on n’a pas le choix parce qu’on a laissé la voiture là-bas ». Leur petit-fils semble à bout de nerfs. « Je veux rentrer à la maison », répète-t-il plusieurs fois. Il faut dire qu’il a failli se faire écraser dans la cohue. « J’ai crié sur des jeunes, je leur ai dit de faire attention parce qu’il y avait des enfants », raconte le grand-père. « Ce sont les jeunes qui poussaient, ça les a amusé tout ça. Mais les familles et les vieilles personnes sont restées sur le quai, elles n’ont pas pu monter ».

Malgré sa colère, le monsieur refuse de mettre en cause les jeunes. Il accuse le service de sécurité, le vrai fautif selon lui. « Dans les autres pays, la sécurité et la police sont organisées, elles disciplinent les gens. On est allé en Italie, là-bas les gens sont tout aussi indisciplinés qu’ici mais la sécurité fait son travail », explique-t-il. « Dès le guichet, les gens suivent un parcours délimité par des barrières. Pourquoi n’ont-ils pas fait ça ici ? Quand on lance des initiatives de la sorte, il faut anticiper », souligne sa femme.

Un peu plus loin, le receveur rembourse les passagers qui n’ont pas pu embarquer. Un attroupement semblable à celui constaté 4 heures plus tôt s’est formé devant sa cahute. Mais, en comparaison du chaos de l’embarquement, l’attroupement passerait presque pour un modèle d’organisation.

Ainsi, si elle veut séduire les Algérois et les touristes, la navette maritime d’Alger va devoir faire ses preuves dans les prochains jours. Il est notamment urgent de repenser l’organisation, pour fluidifier la montée et la descente des passagers. Faute de quoi le dispositif tombera vite à l’eau.

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Une petite fille, effrayée, pleure
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